Marc Biancarelli et la beauté froide du Massacre des Innocents

Depuis 2014 nous rongions notre frein dans les couloirs du Salon, pariant si oui ou non un nouveau roman allait jaillir, et quand… Plutôt que de pondre un opus tiède et mièvre chaque année, Marc Biancarelli publie peu mais juste. Une fois encore il frappe fort…
Partant d’un fait divers historique – en 1629 près de deux cent cinquante rescapés d’un naufrage s'échouent sur un archipel désolé au large de l’Australie et deviennent les victimes du plus grand massacre du XVIIe siècle – Biancarelli peint ce carnage d’innocents, non pas à la manière du tableau de Poussin mais plutôt dans les tons des maîtres d’or néerlandais (Frans Hals, Adriaen Brouwer, Johannes Vermeer) offrant une lecture à la fois onirique et précise, rendant aussi bien l’atmosphère d’une ville, les costumes des protagonistes, l'odeur de la nourriture, la beauté des paysages que les pensées sinueuses et dévorantes des personnages, portés par l’ambition, la folie, le rang, la morale…

Quand le Batavia se rompt sur les récifs, la mutinerie qui prenait corps en pleine mer éclate au grand jour sur l’île, d’autant que le subrécargue Pelsaert s’enfuit sur une chaloupe pour tenter de gagner la terre ferme, laissant son second, Jeronymus Cornelisz voué à une mort certaine sur l’épave éventrée. Ayant échappé à la mort, constatant que son supérieur est aussitôt reparti chercher des secours, il s’autoproclame grand chef et impose un dictat sans mesure. Exilant une partie des passagers sur un îlot voisin sans eau ni nourriture, composant une milice qui s’arroge droit de vie et de mort sur quiconque refuse son autorité… jusqu’à ce que Weybbe Hayes, un soldat frison refuse de voir l’un des siens condamné injustement et se lève, ose braver l’interdit et dire non.

Au-delà de l’extrême violence rapportée jusqu’aux moindre détails, ce n’est pas la barbarie qui prévaut et condamne le lecteur à affronter sa part d’ombre mais bien la mise en lumière de l’Homme tel qu’en lui-même dès lors qu’il est confronté à une force supérieure et une totale liberté.
Cornelisz est à l’identique d’Hitler, habité par sa folie, revanchard (avant d’être employé par la Compagnie des Indes, il était apothicaire mais son incompétence le mena à la faillite, il abandonna alors sa famille et s’enfuit du jour au lendemain) et d’une violence absolue dont il fait montre par personne interposée, commandant assassinats et exécutions sommaires sans jamais s’impliquer personnellement…

Magistralement écrit, ce livre-témoin qui redonne la voix aux victimes et au héros qui permit de sauver quelques innocents, bouscule le lecteur en l’invitant, par le jeu d’un style poétique mais d’une grande force dramatique, à oser regarder – voire savourer – l’émotion tant visuelle que physique qui s’empare de tout le corps à la suite de ces pages que l’on tourne l’une après l’autre, enfoncé dans la trame du récit, partageant drame et joie de ceux qui n’eurent d’autre choix que de se battre ou mourir, quand ils en avaient la possibilité…
Constat sans appel sur la nature humaine porté par une esthétique accomplie, aussi envoûtante que dérangeante. Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Un livre pour l'Histoire.

François Xavier

Marc Biancarelli, Massacre des Innocents, Actes Sud, janvier 2018, 304 p. –, 21 €

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