Giotto, un théâtre sacré, une scène profane
Peut-être naïfs mais
combien édifiants, les Fioretti
avaient mis dans l’esprit du « villanus », le paysan libre, le sens
du divin. Ecoutons pour le plaisir une histoire insolite, trop belle pour être autre
que légendaire. Un modeste berger s’amuse à dessiner des moutons sur des
pierres. Son talent est extraordinaire, on le remarque. Il s’appelle Giotto, un
diminutif d’angiolo, petit ange. Il
peint avec un sens nouveau de la profondeur des choses simples et en fait des mirabilia, des choses esmerveillables. Il pénètre de plain
pied et de droit dans le triangle qui fonde l’idéal de la vie d’alors:
Dieu, la nature, les hommes. Toute sa peinture ne sera qu’une merveilleuse et
cohérente narration au long de laquelle ces trois alliés complémentaires et
opposés, se retrouvent, se jaugent et se jugent. Le lien avec François d’Assise
est une évidence et Marcelin Pleynet en souligne à nouveau et avec raison la
force et le sens.
Né autour de 1266-1267, un peu au nord de Florence, ayant quitté son soi-disant champ, car on ignore presque tout sur sa jeunesse, il entrerait dans l’atelier de Cimabue, alors maître de renom, pour se former. Giotto se révèle d’emblée un artiste et un créateur supérieurs. Il laisse cette inoubliable peinture silencieuse, « à l’étrangeté saisissante », libérée des canons de la Grèce et de Byzance, dispersant autant de force que de grâce, initiatrice d’une nouvelle esthétique qui orientera longtemps les peintres futurs, jusqu’aux factures modernes. Comme venait de le faire pour la littérature le novellino, Giotto instaura dans la peinture un « dolce stil nuovo » auquel il ajoutait peu à peu cette « maestà », ce goût de la grandeur que la Péninsule inspire depuis toujours à ses artistes et instilla dans son esprit.
Egalement architecte, il est considéré
comme le premier à
avoir trouvé le lien entre la décoration d’une surface et sa signification,
par l’expression
des conduites humaines. La
fresque qui a partie liée avec l’architecture, constitue le moyen le plus apte à le satisfaire.
Le cycle d’Assise ordonné en 1296,
à son origine donc, par le général de l’ordre des Franciscains, Giovanni di
Muro, sera repeint en 1942. Respecté, altéré ? Difficile à dire. Il
demeure l’ouvrage exemplaire de l’artiste pour qui, d’une certaine manière,
peindre signifiait prier.
De 1304 à 1306, fort de cette science qui lui apporte aisance et célébrité, Giotto se consacre à la décoration de la chapelle de l’Arena à Padoue, à la demande d’Enrico Scrovegni. A l’époque barbare, il y avait là un amphithéâtre. Le sang des gladiateurs imbiba longtemps le sable de cette arène propitiatoire. La petite église a été consacrée le 6 mars 1306. Elle prend le jour par une élégante baie ogivale à triple ouverture. De nos jours encore, quand on y entre, la charge esthétique et poétique des fresques est immense, la spiritualité le dispute à l’émotion. La dominante bleue fascine tous les visiteurs, ainsi que le signale l’auteur, faisant référence entre autres à Proust, Georges Duby et Julia Kristeva. Giotto, homme cultivé, connaît l’histoire sainte. Il peut ainsi plaider sur ces visages et surtout dans ces regards, la solennité, la frugalité, l’émoi, la douleur, l’envie, émotions qui marquent les épisodes essentiels de la vie du Christ: la Visitation, la Nativité, l’Adoration des Mages, le massacre des Innocents et ce poignant baiser de Judas. Marcelin Pleynet, à la suite d’André Chastel qui remarquait combien « les figures de Giotto sont commandées par les yeux », parle d’ « une famille de regards » qui caractérise « ce peuple peint ».

La parution d’un nouvel ouvrage sur Giotto est
toujours un événement à ne pas ignorer, tant sa « stature est
écrasante » et grand le souhait d’en savoir plus à son sujet. L’ampleur de
l’œuvre permet d’en renouveler les approches, les interprétations, les sources.
En proposant une relecture du legs de Giotto, Marcelin Pleynet, qui a beaucoup
écrit sur l’art, contribue à cette incessante exégèse. Il aborde notamment la
question du rôle de l’Eglise dans la vision spirituelle de l’artiste et sa
traduction formelle. Les illustrations appuient et éclairent le texte.
Dominique Vergnon
Marcelin Pleynet, Giotto, Bibliothèque Hazan, 224 pages, 85 illustrations, 15,5x20 cm, mars 2013, 16 euros
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