Marcelin Pleynet : exercice de vérité

Grand ordonnateur de Tel Quel puis de L'infini, Marcelin Pleynet dans cette partie du journal évoque entre autres son  transfuge du Seuil à Gallimard et ce afin de poursuivre l'histoire littéraire selon une voie non divergente mais plus axée vers l'essentiel.
Ce qui ne l'empêche pas de connaître des heures de doute, où écrit-il : Je ne vois plus rien, je ne vois plus du monde que sa trahison, son mensonge, sa grimace... et je pousse plus loin fatigué dans la poussière.
Même évoquer et disséquer Shakespeare peut lui sembler alors vain mais d'ajouter comment passer outre ? Comment découvrir, révéler ce qui porte une émotion nouvelle et que d’autres discours, confusément, cachent ?

Ici comme dans l'ensemble de ses textes Pleynet élimine toute généralité qui exclut ce qu'il nomme l'intelligence de la singularité.  Il sait déjà confusément  qu'il fait partie des rares écrivains qui méritent ce nom mais qui ne laissent ne pas forcément leur nom dans l'histoire des lettres. Sa poésie comme ses œuvres critiques restent néanmoins des points forts. Et ce, parce ce que l'auteur prouve (ce journal en témoigne)  d'autonomie, d'exigence et d'indépendance. Celles d'une langue singulière sensible à ce qui mérite de retenir l'attention chez les êtres, les créateurs comme dans les paysages.

Vivant au présent et en faisant l'expérience il cherche à être le plus exact possible et sans chercher à se projeter dans l'avenir. Ce qui pour lui revient à se situer nulle part car à cette aune, je peux dire n'importe quoi puisque je ne dis rien. 
Néanmoins sa vision du présent (entre autres de l'édition) est parfois à courte vue : L’écrit, l’imprimé n’ont plus seulement la fonction qu’ils remplissaient par le passé, ils se trouvent actuellement en partie surdéterminés par l’économie de leur diffusion, c’est‑à‑dire aussi par ce qui précipite et diffère leur activité. Mais n'est-ce pas là  accorder au passé une liberté qui tient d'une vue de l'esprit.

Néanmoins ce journal est incontestablement une belle leçon de littérature. La dimension poétique (entre autres de Stanze) – c’est‑à‑dire si l’on veut le plus opaque des discours – retrouve ici une transparence qui n'est pas sans jouxter les limites du romanesque.

Le journal demeure aussi une belle leçon d'humilité de la part d'un auteur trop discret et qui ne publie de lui que ce qui donne sens et qui rappelle que les  mouvements littéraires, les groupes, les écoles n'ont d'autre fonction que d'aménagement social.
Fidèle à la modernité  il estime que l'innovation reste possible pour peu qu'il existe des créateurs capables d'inventer des formes et techniques littéraires ou artistiques et ce dans tous les sens. Sachant que pour lui ce n'est pas le support (livre dans les années dont il est question dans ce journal) ou le numérique aujourd'hui qui fait l'écriture mais l'action complexe des inégalités sexuelles sur les formes de mémorisation et de plus ou moins libre activité de la pensée.

Et si Pleynet reste discret c'est que pour lui un écrivain n'a jamais de place au  sein de la société. Car il a mieux à faire – comme pour lui le discours rhétorique dans la littérature française du XVIIe siècle le prouverait si besoin était. Il s'agit de gérer cette absence de place. Et le Journal prouve que tout vrai écrivain n'a d'autres ambitions que de se réaliser dans ce qu'il écrit toujours au présent dont les enjeux restent ce qu'ils furent en vérité : écrire la vérité qui est la meilleure parce que c'est la mienne.
D'où l'intérêt d'une Journal qui n'a rien d'un simple plaisir d'écriture égotique.

Une aventure humaine avance  même quand le froid se faisant insistant, il suffit de passer le reste de l’après-midi en compagnie de L’Estro armonico de Vivaldi. Preuve que la fantaisie dans la matière musicale permet dans son abstraction d'en dire toujours plus long de notre achèvement. Que les années finissent ou commencent.

Jean-Paul Gavard-Perret

Marcelin Pleynet, Le Déplacement  Journal des années 1982-1983, L'Infini, Gallimard,  novembre 2021, 176 p.-, 19 €

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