Marguerite Duras : à louer

Marguerite Duras avait relégué cette pièce dans une commode parce qu'elle en avait écrit une autre sur le même canevas : Vera Baxter. Elle sera néanmoins jouée et deviendra l'objet d'un film de Benoiît Jacquot.
Suzanna Andler, c'est d'abord, comme la Baxter, une villa de vacances, au bord de la mer, vide, hors saison. Ce pourrait être Trouville en quelque sorte. Mais c'est plutôt Saint-Tropez.

L'habit ou plutôt l'âme d'un tel lieu, est comme souvent chez Duras, non dans les murs et le mobilier mais à travers les cris des enfants qui y courent l'été. Avec le pain et la barre de chocolat sur la plage, les petits vélos abandonnés à la hâte et le regard d'une mère sur son petit monde.
 
Mais les vacances finies, la villa reste sans temps ni espace. Ce n'est même plus un lieu de mémoire : car les bambis qui passent ici ont leur "vraie" demeure loin de là. La vie est donc absente et sous le prétexte de devoir louer cette maison Suzanne Andler y reste afin de se tuer.
 
Elle a ouvert les fenêtres, pour avoir de l'air. À travers les persiennes closes, entrent les bouffées du vent, le bruit des vagues qui s'écrasent sur le sable. Il y a aussi les cris de mouettes et le bourdonnement sourd des abeilles – le printemps – sur un arbre en fleurs.
 
Marguerite Duras, entendant ces bruits et cris qui traversent les siècles, songe à ceux du Moyen Age, aux femmes restées seules pendant que leurs époux font la guerre aux Musulmans.
En écho Suzanna Andler hésite entre son mari et son amant. Mais on est loin des codes du Boulevard. Marguerite Duras offre le portrait bouleversant d'une femme qui rêve d'une improbable émancipation. 
 
C'est une femme cachée, cachée derrière sa classe, cachée derrière sa fortune, derrière tout le convenu des sentiments et des idées reçues... Elle ne pense rien, Suzanna Andler. Mais j'ai essayé de la lâcher, de lui redonner une liberté, écrit Marguerite Duras. Et cet essai est une réussite.
 
 
Jean-Paul Gavard-Perret
 
Marguerite Duras, Suzanna Andler, édition de Sylvie Loignon, préface de Jean Cleder, avant-propos de Benoît Jacquot, coll. Folio théâtre (n° 202), Gallimard, janvier 2021, 8,10 €
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