Marguerite Duras : le film et son interdit

Marguerite Duras n'a eu cesse de pousser plus  loin le cinéma afin de casser les images  qui feignent de montrer. Il s'agissait pour elle de dénoncer ce mensonge en des sortes de récits évidés de l'objet. Et ce au conditionnel passé – pas au futur antérieur. Ce fut une manière – la seule peut-être – de renvoyer le voyeur à sa misère, à sa déception même puisqu'il ne peut même plus bander. Ce n'est plus lui qui "bande" (métaphoriquement) car son œil est bandé.  

Reste le dépouillement, pas le nu. Demeure cette pornographie de la pornographie si l'on entend par là ce que l'image ne doit pas reproduire du réel.
Pour Duras, l’image sans forme est simplement incomparable, c'est pourquoi elle la considéra comme la petite pute, la grande misère. Elle la transforma en lieu où le bât blesse. Non une évidence mais un évidemment.

D'où ses effractions, interstices, ses dévoilements déplacés. Le spectateur ne peut plus mariner dans le bain amniotique de l'écran. Duras  crée ainsi sa mécanique plaquée sur la feinte du  vivant, crée des histoires qui ne s'exhibent plus pour dire la douleur. La douleur (l'impossible du désir) ne se montre pas. 

Le film reste  en suspens par la nécessaire l’incomplétude de cette image qui sort de son extase embryonnaire avant de retourner aux limbes ou en enfer. Il n'y a que ce rebord, ce C’est tout. Bref, Duras crée le vide – le seul moyen de le faire résonner pour ne plus perdre le voyeur dans le lieu de sa voyance. D'où sa phrase  : L'interdit que je me pose, le film (préface au Navire Night).
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Marguerite Duras, Le cinéma que je fais, Écrits et entretiens, édition établie par François Bovier et Serge Margel, P.O.L éditeur, octobre 2021, 544 p.-, 24 €

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