Les impatients

Si à quinze ans, Eveil de Reine n'est pas encore jolie, elle est déjà fière et elle sait ce qu'elle veut. Entre 0 et 4 heures du matin, elle apprend le russe grâce aux films en V.O. de Nikhita Mikhalkov. 
Plus tard à 33 ans, après HEC, Harvard et autres écoles, devenue canon et à force de travail, elle fait enfin partie des « Premiers de cordée ». Spécialiste des cométiques de luxe, elle est régulièrement débauchée par la concurrence. Jusqu'au jour où celle « qui a pris le tournant du digital à la naissance » commet un acte manqué : elle supprime irrémédiablement le dossier qu'elle devait présenter et démissionne dans la foulée du poste dont elle avait rêvé toute sa vie. 
Bien sûr, on  imagine que secondée par  son meilleur ami, un quasi clone, son mari, en apparence un modèle de patience, jamais avare de conseils pertinents, elle va rebondir.  Ce qui ne manque pas. Toujours dans  la cosmétique haut de gamme,  elle ouvre un concept dédié aux algues fraîches, L’État Sauvage entre Saint-Paul et Bastille, soit six cent mètres carrés avec un SPA, un bar à santé, une boutique. 
C'est un triomphe, mais il a un goût amer, celui de Marin, un biologiste qui préfère les rivages de l'Antarctique et de la Bretagne aux quartiers bobos parisiens.

Dans cette fable douce amère peuplée de millénials, Maria Pourchet fait merveille dans le style disruptif. Ses personnages attachants agaçants, naïvement imbus d'eux-mêmes, remuent ciel et terre pour créer ce qu'ils croient être une nouvelle ère qui en fait ressemble furieusement à l'ancienne : « je m'interroge vraiment sur la capacité de votre génération à changer le monde, quand on n'est pas foutu de s'acheter une montre », affirme un employeur. Tout est dit. Avec un sabir pseudo technologique, la fréquentation de bars divers et variés (à ongles, à jus…) Eveil de Reine et ses comparses réparent leurs failles comme ils le peuvent, chassent, couchent, attendent un appel de l'Elysée pour un ministère, trouvent que leurs femmes leur coûtent cher en fleurs et en joaillerie ou rêvent à la grande histoire sentimentale avec bébé à la clé. Rien de bien moderne sous le soleil. Seul l’habillage numérique tente de faire illusion et de dépoussiérer les passions vieilles comme l’humanité que sont  l’amour, le sexe ou le pouvoir. Et encore ! Le jour de l’ouverture de son concept, Reine  prétextant un rendez-vous chez le dentiste  se rend chez un occultiste pour une lecture des tarots.

Maria Pourchet, avec son style ironique, incisif décrit à merveille les affres de ceux qui tentent à chaque heure de leur existence de réinventer l'eau tiède et ne brassent que du vent. Passant d'une époque à l'autre, dix huit ans s’écoulent en une page, d'un personnage à l'autre, utilisant le vous ou le nous indifféremment comme pour illustrer habilement la fugacité des tweets, des posts, des stories ; terriblement dans l'air du temps, l'auteur une fois de plus amuse, irrite et dépeint le monde tel qu'il est en parfaite sociologue qu’elle est par ailleurs.

Brigit Bontour

Maria Pourchet, Les impatients, Gallimard, janvier 2019, 187p. -, 17,50 euros
Lire aussi la critique de François Xavier parue le 17 janvier 2019

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