Nous voulons tous mourir dans la dignité, le pamphlet de Marie de Hennezel

TO BE OR NOT TO BE


« Le droit de mourir dans la dignité » ? Fausse question, répond Marie de Hennezel aux partisans de l’euthanasie, puisque, comme le dit le titre de son nouveau pamphlet tranquille, Nous voulons tous mourir dans la dignité.


De même qu’il existe de faux meubles Louis XV, il existe de faux mots grecs. Ou, plus exactement, de vrais faux mots grecs. Euthanasie est l’un d’eux. Ce mot existait déjà dans l'Antiquité, mais avait très rarement le sens qu'il a pris aujourd'hui. Il désignait simplement une belle mort. Et l’ennui de ce détournement du mot euthanasie, c'est qu'il semble indiquer que l’acte qu’il désigne de nos jours existe depuis la nuit des temps et correspond donc à quelque chose de très naturel. Or, soyons sérieux, nous savons bien qu’il n’y a pas de « bonne mort », et que, comme dit l’autre, à la question « Comment aimeriez-vous mourir ? », nous sommes tous tentés de répondre : « J’aimerais mieux pas. »


Le mot euthanasie est donc pour le moins un euphémisme, autrement dit un mensonge. Marie de Hennezel avait déjà publié un certain nombre d’ouvrages contre l’euthanasie ; le projet, sinon la décision de Son Excellence Normal Ier de « légaliser » cette affaire l’a incitée à en écrire un de plus, Nous voulons tous mourir dans la dignité. Car, loin de clarifier la situation, l’introduction d’une loi risque fort d’entraîner, comme on dit, un certain nombre de dérives. Tout simplement parce qu’une loi, malgré toutes les réserves et toutes les conditions qu’elle pourra poser, aura pour effet de faire entrer dans un cadre des situations qui, par définition, ne sauraient être qu’exceptionnelles.


A priori, c’est vrai, tout paraît assez simple. Quand un malade incurable souffre de manière atroce et désire mourir, pourquoi ne l’aiderait-on à réaliser son souhait ? Seulement, dans l’énoncé de ce « problème » se cachent au moins deux ruses de la raison, qui font qu’il n’est pas sûr que le malade qui réclame la mort réclame vraiment la mort.


Il existe une nouvelle très drôle et très désespérée de Courteline, dans laquelle un malheureux soldat, qui souffre au départ d’un simple mal de gorge, se retrouve orienté à la suite d’une erreur de diagnostic dans le pavillon des victimes du typhus. Moyennant quoi il attrape le typhus et en meurt. Ce qui prouve bien — n’est-ce pas ? — que les médecins ne s’étaient pas trompés. Rien n’est plus vicieux que ces serpents qui se mordent la queue ; que ces très tautologiques prophéties qui entraînent elles-mêmes la réalisation de ce qu’elles annoncent. Dans le cas de l’euthanasie, il peut arriver, même si tout le monde est « de bonne foi », quelque chose de semblable : la mère qui réclame, par amour, qu’on mette un terme aux souffrances de son fils paralysé s’est-elle bien demandé si les souffrances de celui-ci ne seraient pas pour lui plus supportables s’il se sentait justement un peu plus aimé ? N’est-ce pas parce qu’ils ont le sentiment qu’aux yeux des autres ils ne sont déjà plus de ce monde que des malades aspirent — ou, plutôt, se résignent ? — à passer de l’autre côté ? Intouchables n’est certainement pas le chef-d’œuvre qu’on voudrait nous faire croire, mais contient au moins une très belle scène : comme le personnage interprété par Cluzet est paralysé, « on » a décidé qu’il n’avait plus sa place, y compris comme passager, dans une voiture de sport ; l’arrivée d’Omar Sy va prouver qu’il n’y a aucune raison de le priver des joies de la vitesse. Aucune raison de l’étouffer sous prétexte de le protéger.


L’attitude ambiguë des proches pourrait être tempérée par le jugement des médecins, mais ce n’est pas toujours le cas, dans la mesure où la formation que ceux-ci ont reçue les incitent à se prendre pour des dieux. La mission du médecin est en effet, nul ne saurait le contester, de guérir le malade. Mais cette « obligation de réussite » est tellement ancrée dans l’esprit de certains praticiens qu’ils ne sauraient admettre la suprématie de la nature et le caractère mortel de leurs patients. En d’autres termes, ils ressemblent furieusement à ces enfants qui, furieux de ne pouvoir réparer le jouet qu’ils ont abîmé, le brisent complètement — ou, si l’on veut, l’achèvent — pour se donner l’illusion qu’ils ont eux-mêmes décidé du sort de l’objet. Toute la formation des médecins met l’accent sur l’aspect curatif de leur mission et fait passer au second plan l’aspect palliatif. Mais arrive un moment où l’état des choses ne saurait être changé ; où le malade devient inopérable ; et c’est là que devrait justement intervenir la mission « métaphysique » de la médecine ; c’est là qu’elle devrait nous aider à nous accepter tels que nous sommes. Qu’elle devrait supprimer, à défaut de la maladie, les souffrances de la maladie. Or quiconque a souffert d’une maladie grave a pu constater combien le spécialiste, si enjoué et si humain quand la maladie reculait, devient presque toujours affreusement distant quand la maladie regagne du terrain. C’est avec beaucoup de pertinence que Marie de Hennezel « décode » le souhait de certains malades : lorsqu’ils demandent officiellement à leur médecin de les aider à mourir, ils lui demandent en réalité de reconnaître les limites de son pouvoir. Ils lui demandent simplement de ne plus détourner son regard. De redevenir humain.


Si l’on ne comprend pas que c’est cette notion même d’humanité — et, ce qui revient à peu près au même, de société — qui est ici en péril, qu’on ouvre donc le Grand Robert à l’article euthanasie. On y trouvera entre autres cette édifiante citation : « Le mot d’euthanasie désigne également la méthode que les nazis ne craignaient pas d’appliquer dans le dessein de détruire les sujets tarés et de purger ainsi ce qu’ils appelaient improprement ‟ la race ”. »


Loin de nous, bien entendu, l’idée que tous les partisans de l’euthanasie puissent être des nazis, mais le simple fait que les nazis aient pu adopter une telle méthode avec tant d’enthousiasme devrait faire réfléchir à deux fois avant de réclamer sa légalisation.


Car, comme nous l’avons déjà dit, Marie de Hennezel n’est pas tant opposée à l’euthanasie qu’à la légalisation — et donc à la banalisation — de celle-ci. Être opposé à l’euthanasie ne signifie pas pour autant être partisan de l’acharnement thérapeutique et sans doute existe-t-il des cas où il faudra se résoudre à « débrancher » (comme on dit si affreusement) le malade ou même à « pousser un peu la seringue ». Mais il existe déjà une loi, la loi Leonetti, qui permet de recourir à de telles solutions. Une loi qui les encouragerait ne manquerait pas d’être dangereuse. Car il est des choses qui peuvent être pratiquées, mais qui deviennent absolument insupportables dès lors qu’elles sont théorisées et édictées. Si l’on comprend bien, par exemple, qu’au département des Urgences, un médecin accorde la priorité à un bébé par rapport à un vieillard, n’éprouve-t-on pas un certain malaise quand on sait qu’en Grande-Bretagne certains textes interdisent de pratiquer certaines opérations sur des malades ayant passé un certain âge ?


Pour ceux qui voudraient justifier de tels choix en se fondant sur une distinction entre vie et fin de vie, nous soumettons à leur réflexion cette phrase extraite de Fin de partie de Beckett : « La fin est dans le commencement et cependant on continue. »


FAL


Marie de Hennezel, Nous voulons tous mourir dans la dignité, Robert Laffont / Versilio, mars 2013, 12,00€  

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