Nicolas de Staël : l'intégrale

Ex-tra-or-di-naire.
Il n’y a pas d’autre alternative pour qualifier cette somme, livre monumental regroupant toute l’œuvre peint sur plus de 800 pages et quelques 1100 illustrations dont 98% sont en couleurs, fait rarissime pour les catalogues raisonnés.
D’autant plus grande est la performance de l’éditeur que la qualité est au rendez-vous. Explorées en partie à la lumière électrique en raison du mauvais temps, les images auraient pu trahir ici ou là quelques défauts, notamment dans les rouges ou les noirs, cauchemar des imprimeurs, mais non, tout est parfait. Les ocres démultipliés, les couleurs froides, les marrons, les dégradés de gris, tout est à sa juste place. Comme cette composition de 1953, totalement inconnue dont la partie droite souligne les reliefs de la masonite, ce panneau de fibres tiré de l’isorel, baigné de pigments blancs étalés en couches successives et grattées ; ou Les toits, par exemple, qui m’ont de suite ré-interpellé comme ils le firent au MuMa du Havre en 2014 (dont on apprend ici que la toile qui illustra la couverture du catalogue, Calais, 1954, fut exposée qu’à cette seule occasion), me collant dans la salle pendant dix minutes au grand dam des visiteurs impatients…
C’est étonnant de retrouver les détails que l’on perçoit généralement au plus près du tableau, au musée, en galerie ou chez le collectionneur qui vous aura accueilli. Les dégradés, le piqué, les mouvements des outils du peintre s’incrustent dans la rétine et nous offrent l’émotion première… 

Le premier intérêt de ce type d’ouvrage est de découvrir des toiles rares que vous ne verrez jamais car tapies bien au chaud de collections privées, elles ne se prêtent jamais (comme la série des paysages) – ou presque. Ainsi de ces Fleurs multicolores, bouquet arlequin qui fut montré à Martigny en 2010, et depuis plus rien, vous ne le verrez qu’ici. Tout comme le bouquet suivant, tout en gris, qui ne fut montré que deux fois en 1953 à New York et 1994 à Parme, ou encore Fleurs rouges ; bref l’enchantement est à chaque page. Idem avec la série des ciels, quasiment jamais exposée. 
 

Nicolas de Staël, Les Toits, 1952, huile sur isorel, 200 x 150 cm © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais - Bertrand Prévost © Adagp, Paris, 2021


Il est intéressant de suivre l’évolution au fil du temps dans le rapport qu’entretenait Nicolas de Staël avec la couleur ; soudain à l’aube de 1953, c’est un feu d’artifice qui débute à Agrigente avec l’apparition de nuances chaudes (rose, orange, rouge) ponctuées par une touche froide (verte, bleue électrique ou noir), le tout nettement plus lumineux et joyeux, une ambiance qui se poursuit avec la série Syracuse : on sent l’influence de la Méditerranée, son soleil, ses contrastes marqués, son ciel brûlant, les terres jaunies par la sécheresse… évolution qui se poursuivra en 1954 avec la série sur Marseille, les Martigues ou encore L’Estaque avec un basculement du rapport : le bleu prend toute la place, ne demeure que le ciel ou les voiles des bateaux pour apporter un peu de rouge, d’orangé… puis nous nous enfonçons un peu plus dans les ténèbres avec la série des ponts, de nuit souvent, où noir et bleu foncé se mixent dans une danse immobile dans l’éclairage suggéré par un filet blanc, reflet d’une lune accueillante.  

Suivent en 1955 d’étonnants paysages, une série sur Antibes puis des natures mortes très colorées... avant d'arriver à la dernière toile, le fameux Concert resté inachevé et que l'on ne connaît pratiquement que sur affiche ou carte postale ; et lorsque vous le voyez pour la première fois, vous avez un choc : la toile fait 3,5 mètres sur 6 !

Quel travail titanesque que ce projet qui s’est déroulé sur bien des années. Après le tout premier catalogue réalisé en 1968 par la veuve du peintre, voici revue et augmentée la version épuisée de 1997, enrichie de notices des nombreuses expositions, livres et ventes d’œuvres qui font vivre cette peinture si particulière, si envoûtante. 
Un long travail de recherche a permis de rassembler un très grand nombre de reproductions en couleur pour donner un corpus définitif de 1120 tableaux – 19 ont été ajoutés, dont 7 reconnus depuis 1997 comme étant de la main de Nicolas de Staël et 7 esquisses qui étaient déjà présentes dans le premier catalogue de 1968 (puis retirées dans le volume de 1997).

On regrettera que ce catalogue qui paraît pour la première fois en langue anglaise n’ait pas bénéficié d’une version bilingue ; on se rattrapera par la contemplation des superbes illustrations. Un livre-événement qui doit figurer chez tout amoureux de l’œuvre de Staël.  

 

François Xavier 

 

Françoise de Staël, Marie du Bouchet, Gustave de Staël & Germain Viatte, Nicolas de Staël – Catalogue raisonné of the Paintings, 245 x 300, biographie illustrée d’une centaine de documents n&b, 1100 illustrations en couleur, relié, couture au fil sous jaquette couleur, Ides et Calendes, avril 2021, 810 p.-, 150 € 

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