Marie Ndiaye : enfermement, "enfermaman"

Maître Susane (on ne connaître pas son nom et cela possède de l'importance dans le roman), est avocate récemment installée à Bordeaux. Elle reçoit la visite de Gilles Principaux (le nom lui aussi n'est pas anecdotique) qu'elle croit reconnaître. Ne l'a-t-elle pas rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze ? Mais elle a tout oublié de ce qui s’est réellement passé ce jour-là dans la chambre du garçon.
Celui-ci vient la (re?)voir pour qu’elle prenne la défense de sa femme Marlyne qui a commis un crime atroce (celui de ses enfants). L'avocate est surprise : comment un tel grand bourgeois peut faire appel à une femme modeste et transfuge de classe ?  

La romancière  créer une histoire de vengeance à plus d'un titre. Bordeaux peut représenter la ville de négriers dont ses ancêtres furent victimes. Mais ici la victimisation prend un sens particulier et plus large. La culpabilisation idem. L'esprit des lois de l'avocate tente de s'opposer aux séparatismes sociaux dans l'esprit d'un tel lieu.
Les rapports de classe sont constants dans ce texte. Et la critique dépasse la ville. Le roman qui se refuse au psychologisme classique crée un mystère jamais résolu mais en un échafaudage impressionnant jusqu'à la plaidoirie finale.
Comme toujours Marie Ndiaye tisse sa toile d'araignée en nous plaçant dans la tête de cette avocate dont le mystère restera entier puisqu'elle doit d'une certaine manière s'effacer.

Le livre devient une double histoire. La première  sur le prix à payer lorsqu'on veut changer de classe sociale. Mais tout autant – voire plus – celle de l'enfermement des femmes réduites à leur statut – pour l'avocate comme pour la "coupable". Les deux sont "ravies" à savoir captées. Elles doivent rester les dindons de la fable qui les statufie en ce qu'elles ne sont pas mais auxquelles on ne cesse de les réduire.

Marie Ndiaye propose l'évocation en structure pyramidalement inversée de ce qui fait des femmes – malgré tout – des wonder-women. Et ce contre la marée de la rationalité de ceux  qui voient le mal partout où il n'est pas, au nom de  diverses myopies genrées et sociales.


Jean-Paul Gavard-Perret


Marie Ndiaye, La violence m'appartient, Gallimard, janvier 2020, 240 p.-, 19,50 €
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