Le woke déshabillé par Marin de Viry  

Prenez la lucidité d’analyse et le pragmatisme de Houellebecq, ajoutez la crudité pétillante de Djian et la fraîcheur décalée à l’humour noir de Gombrowicz, le tout enchâssé dans l’enfer woke d’une société en vue dont le siège se trouve à La Défense. Le cadre du récit informera les oies blanches de la manière dont se déroule une carrière au sein de ces entreprises déjantées où tout se juge sur les apparences, le volume des rapports, la couleur des graphiques et accessoirement le but à atteindre, étant donné qu’au final ne sera retenu, lu, compris et apprécié le seul compte de résultats, d’autant plus qu’il aura deux chiffres de rentabilité. 

Pour dépeindre cet univers impitoyable, Marin de Viry emploie une technique de narration pleine de verve et de rythme, cinglant ici, cynique ailleurs, jouant avec ses personnages (Marius et Priscilla, deux directeurs qui s’affrontent pour le poste suprême) et les situations ubuesques à la manière d’un artiste qui pilotent ses marionnettes avec tendresse, sachant qu’elles ne sont là que pour illustrer une évidence : la perte de sens de toutes ces actions soit disant humanistes mais qui cachent derrière la mainmise du grand capital qui s’offre des parts de marché à bon compte. Sous le vernis de l’humanitaire il y a la mise au pas des derniers continents encore non assujettis au digital. Tout en imposant une idéologie délirante. 

Priscilla, avec sa grille de lecture foldingue, va constamment cerner ce qu’elle prend pour ma bêtise mâle, débusquer mes archaïsmes, traquer les facilités avec lesquelles je jouis de mes privilèges de mâle blanc, et autres billevesées qui occupent son cerveau farci de méchancetés sur lesquelles ces crétins d’universitaires ont bâti des systèmes qui leur permettent de croquer du budget. 
 

Mais à force de luttes stériles, notre couple ambitieux découvrira que la vie étant tout sauf un long fleuve tranquille, il convient de savoir changer son fusil d’épaule et de cultiver son jardin, au propre plutôt qu’au figuré ; les voilà donc à terme face à une prise de conscience qui leur révèlera que l’absence de sens ne peut convenir à une vie aboutie : ils prendront alors une direction dangereuse qui consistait à avoir un rapport direct et réfléchi aux pensées et aux formes majeures qui forgèrent la civilisation européenne. Après avoir lu un traité d’héraldique, le théâtre de Victor Hugo, Joseph de Maistre et La Divine Comédie, le sentiment que les habitait n’était nullement que la table devait être rasée. 

Jubilatoire et salutaire roman qui se lit d’un coup d’un seul. Captivé par le style, l’humour noir, la trame et la manière dont basculent ces deux destins vers une toute autre cible, Marin de Viry émoustille le Gaulois réfractaire qui sommeille en nous et nous redonne espoir dans un possible autre monde que celui débile et automatisé que tente de nous imposer les GAFA. 

 

Rodolphe 

Marin de Viry L’arche de mésalliance, éditions du Rocher, septembre 2021, 200 p.-, 17,90 €

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