"Femme de Chambre" de Markus Orths, une solitude implacable

Immersion dans le quotidien d’une jeune femme à la raison chancelante, Femme de Chambre est le roman d’une vie minuscule, effacée, à l’épreuve d’une liberté retrouvée.

 

« Lynn parle, elle ne sait pas exactement ce qu’elle dit, elle parle pour ne pas devoir s’apercevoir que son visage est mouillé comme s’il avait plu, mais la gare est couverte. »

 

Lynn sort d’une clinique psychiatrique. Ses pensées se projettent contre les façades, les gens, le mobilier urbain, s’attachent à des détails, des souvenirs dérisoires. On sait qu’elle a passé six mois enfermée. Rien de plus. L’origine du mal et ses manifestations sont obscures.

 

De retour chez elle, elle se lance dans un ménage frénétique ; une traque impitoyable de la poussière et de la crasse. La crainte d’une rechute se fait déjà sentir. L’inactivité lui serait fatale, dit-elle. Son univers se résume à une mère qu’elle ne voit plus et dont l’existence se manifeste au téléphone, chaque semaine ; rapports à la fois distants, contenus et sous tension. Les mots sont connus d’avance et les réponses formatées.

 

Lynn finit par trouver une place en tant que femme de chambre dans un hôtel de luxe, via une relation vague ; la seule semble-t-il – sans compter le psychiatre chez lequel elle doit pointer. Le poste parait taillé sur mesure, sa passion du nettoyage trouve un terrain d’épanouissement. Elle se plonge dans le travail avec ardeur ; personne ne lui reprochera ses heures supplémentaires. Des rituels commencent à s’imposer. Des gestes compulsifs. Très vite, les chambres 300 n’ont plus de secret pour elle et leurs imperfections sont passées au crible. Certaines tâches, défauts, fissures microscopiques, ne partiront jamais. Il faudra faire avec.

 

Surprise par l’arrivée d’un client alors qu’elle a fouillé dans ses affaires, Lynn se cache sous le lit. Celui-ci reçoit alors la visite d’une escort-girl, Chiara. Sa voix est belle. L’expérience l’enthousiasme, excitée par le danger et sa situation inédite, elle ira même jusqu’à se caresser au rythme des ébats. C’est ainsi qu’elle décide de passer tous les mardis soirs dans sa planque, allongée sous les lattes à attendre les clients de l’hôtel, dans l’espoir de renouveler le vertige.

 

Entre temps, elle a déniché le numéro de Chiara et va jusqu’à s’offrir régulièrement ses services en claquant la moitié de son salaire, rêvant que l’attraction puisse devenir réciproque. La désillusion sera à la mesure de ses fantasmes. Deux femmes de chambre, pour ainsi dire, mais dont les parcours ne feront que s’effleurer dans un déséquilibre cruel ; un sommier entre les deux.

 

« Les nuits m’avalent, pense Lynn, elles me recrachent le matin. »

 

Une écriture sèche, un rythme rapide, à l’intérieur de phrases élancées ; Markus Orths développe un registre poétique assez fort, notamment à travers les pensées volatiles de son héroïne. On songera d’ailleurs aux Voyelles de Rimbaud quand Lynn évoque la couleur des jours, mais pas seulement. Les images dont Lynn se sert pour se représenter le monde, souvent liées au registre de l’enfance, accentuent l’impression de décalage, de malaise. Elle prétend être recrachée par la nuit, comme si chaque jour était une nouveauté angoissante, à réapprendre sans cesse, de même qu’elle a été recrachée au-dehors par la clinique, livrée à elle-même comme on est jeté dans l’abime.

 

Bien entendu, le constat est navrant, et l’histoire plutôt désespérante, tant la notion de gâchis enfle à chaque page, mais l’auteur parvient à tenir sur la longueur avec une certaine légèreté ; légèreté inhérente au personnage de Lynn qui semble passer à travers les événements comme elle passe à côté de sa vie. 

 

"Je voudrais qu’une seule fois quelqu’un soit couché sous mon lit, je voudrais qu’un jour seulement quelqu’un écoute ma vie."


Si Lynn est indéniablement malade, et que l’on peut supposer une éventuelle responsabilité de la part de la mère, Markus Orths laisse au lecteur le soin d’imaginer les drames. Quelque chose d’ordre affectif, évidemment. Sexuel, peut-être.

Il est probable que ceux qui attendront des révélations nettes seront frustrés, mais là n’est pas vraiment l’enjeu du roman.


Les troubles psychologiques de la jeune femme sont surtout un prétexte, et le canevas le plus idoine pour se représenter un scénario qui se joue tous les jours, sous des formes moins romanesques, et qui ne relève pas nécessairement du cas médical – ou alors celui d’une société toute entière – mais celui d’une solitude implacable où le voyeurisme et l’exhibition sont devenus les expédients du pauvre.


Arnault Destal


Markus Orths, Femme de Chambre, Liana Levi (Piccolo), septembre 2010, 131 pages, 7 euros

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