Les fossoyeurs font bombance sur notre dos

Si Mathias Enard cible bien les seuls fossoyeurs dans leurs œuvres, il est facile d’en extraire rapidement un parallèle avec le délitement de notre petit monde prétentieux. C’est là tout le luxe de ce gros roman qui remue, revient sur lui-même, interprète, dénoue les énigmes et tente d’ouvrir un autre chemin dans l’embouteillage idéologique actuel qui nous accule à subir sans parvenir à entrevoir le bout du tunnel. Sans doute parce que tout le monde ment, comme le répète inlassablement le docteur House au fil des épisodes, ce qui engendre un climat de défiance et une violence larvée qui ne demande qu’à s’extérioriser.
Mais Mathias Enard est aussi un idéologue, de gauche, qui vit sur un petit nuage et refuse de comprendre sous prétexte que voyager l’amuse, il n’aime pas les gens qui sont restés ancrés dans leurs coutumes, imprégnés de leur terre, leur région, leurs coutumes ; alors il présente l’assimilation comme une forme extrême d’intégration, une fois encore voilà le local prié de s’abaisser à supporter tout ce qui provient de l’immigré et rien à dire sinon on passe pour un facho… Pourtant, à Rome on fait comme les Romains est bien la seule manière d'éviter la fractionnement d'un peuple, d'une nation, comme vient enfin de s'en rendre compte le Président de la République.

La France, en effet, est un ensemble de terroirs, une mosaïque de régions qui se sont assemblées sous une même bannière et sous l'auspice d'une seule religion, quoi qu'il en coûte de la dire, si bien qu'elle a réussi ainsi à s'unir malgré ses petits travers.
L'auteur use parfois de caricatures un peu forcées et malgré une volonté de demeurer humain, il tire à de trop gros traits sur des caractères qui ne sont pas obligatoirement des défauts, le régionalisme n'est pas une tare.
La narration est fine, mais l’on sent bien toute la violence du propos à jeter ainsi l’opprobre sur ceux qui ne pensent pas comme la doxa dominante de monsieur Soros…

Le début est prenant à suivre, cette immersion en rase campagne d’un étudiant un peu perdu dès qu’il n’a plus la bouche de métro comme repère, l’on s’attache aux personnages hauts en couleur ; et puis brusquement tout change, les époques se superposent, les lieux s’inversent, on y perd un peu son latin et comme n’est pas Salman Rushdie qui veut, tout ce maelstrom devient très vite aussi lourd que l’ouvrage et l’on se demande si l’on va continuer jusqu’au bout.

 

Rodolphe

 

Mathias Enard, Le Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs, Actes Sud, octobre 2020, 432 p.-, 22,50 €

Aucun commentaire pour ce contenu.