Jeux de dupes : L'engrenage de l'aversion

Abott, un obscur employé d’une administration toute grise écrit un livre qu’il ne publiera jamais, ayant perdu le manuscrit dans un taxi. Jean Ruelov qui trouve  le texte, le fait publier et rencontre la gloire.
Les deux, le  terne employé aux écritures de la ville de Paris et le piètre représentant de commerce tout aussi falot, partagent chacun à leur façon  une vie sinistre.

Quant Abbot s’aperçoit que le roman qui rencontre tant de succès est le sien, il aborde le pseudo auteur et se fait embaucher bénévolement comme secrétaire avec le dessein de se venger de l’imposteur.
Très vite, celui-ci comprend qui est Abbot et la situation s’envenime jusqu’à Hollywood où le charlatan doit collaborer au scénario du film qui sera tiré du livre. Abbot est du voyage, bien que l’autre se soit débrouillé pour le perdre à l’aéroport. Toutefois, démuni sans lui, dépourvu de toute imagination et incapable d’écrire trois lignes, il se voit contraint de faire à nouveau appel au plumitif pour que le projet du scénario aboutisse.
Le climat se détériore encore lorsqu’apparaît Mireille une call-girl française qui rêve de rentrer à Nice ouvrir un magasin de fleurs, ce que lui promet Abbot, tombé sous son charme.
Tout dégénère lorsque celui-ci, soudain avide d’argent met ses menaces de vengeance à exécution.

Dans ce roman très différent de ses précédents où les tueurs en série font la loi, Maud Tabachnik explore la psychologie de deux ratés très ordinaires mais fascinants par la haine qui les soude et les retient de s’entretuer. Les deux hommes se détestent cordialement mais doivent donner le change, unis par un pacte diabolique. Abbot sait que sans l’usurpation de son livre, il n’aurait jamais vécu avec autant d’intensité, ne serait jamais sorti de son quartier tandis que Ruelov a conscience que sans le roman du premier, il ferait toujours du porte à porte. 

Ce dernier livre de Maud Tabachnik, est pétri d’humour et de finesse. Les rapports des deux hommes entre haine et admiration pour le côté malhonnête de l’autre sont fascinants. Le suspens est diffus  mais efficace. 
Le lecteur imagine que l’auteur spolié va demander réparation mais n’imagine pas le tsunami que cette requête va engendrer. Pas plus qu’il n’envisage l’enchaînement d’évènements funestes qui vont advenir. Pourtant, tout est en place dès le début et la maestria de Maud Tabachnik fait le reste. Jeux de dupes, à rebours des autres romans de l’auteure laisse entrevoir une sensibilité et une psychologie très vives s’opposant à ses précédents livres plus basés sur l’action et la noirceur.

Point par point, l’auteure dissèque l’engrenage de l’aversion et de la rancœur entre les deux hommes dans le pays du cinéma et des rêves en carton-pâte. Fausses pistes et digressions entraînent le lecteur jusqu’à un dénouement aussi amoral qu’inattendu.


Brigit Bontour

 

Maud Tabachnik, Jeux de dupes, City éditions, janvier 2021, 253 p.-, 18,90 euros

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