Emmanuel Lévinas, "Etre juif"

La tentation est grande, après Franz Rosenzweig (1) et Martin Buber (2), de risquer jusqu'au nom d'... – comment dire ? enfumage ? – préférons-lui celui de brouillage. N'étant pas philosophe, je me garderai bien, décence et crainte du ridicule obligent, de céder aux puissances de l'intuition. Il faut pourtant souscrire à l'amicale demande et se résigner, non spécialiste, à faire entendre sa voix, la plus fluette et plus faible fût-elle, dans les ruines de l'incendie re-fondateur (3). Combien de temps encore devrons-nous souffrir la lancinante question, revenue du fond des âges ? À quoi bon ne pas se suffire de définir très ordinairement le judaïsme comme un fait religieux devenu politique et l'exempter de toute singularité essentielle ? Son triste destin lui vaudrait encore cet isolement scientifique et intellectuel ? Trop. Même pour cette fichue religion et son misérable peuple ! Le premier brouillage du texte lévinassien s'affiche structurel : l'ontologie de l'être juif s'y trouvant ancrée à la fois hors du champ de l'expérience et dans l'expérience. L'existence du juif ne saurait, sa position même, s'affirmer comme prédicat ajouté au sujet. Né juif. Né dans une famille attachée – qu'importe la sûreté du lien – à une tradition et par la suite reconnu, désigné, parfois... souvent détesté, haï, poursuivi, chassé ou menacé d'extermination comme tel. Juif de tradition, de raison, d'observance, de décision ou simplement juif psychologique, le juif, sujet de représentation et résultat d'une histoire, ne saurait se prévaloir du haut titre de prédicat ontologique.


Folie que de confondre existence et possible, factuel et contre-factuel. Canonique, l'exemple kantien, jugeant « qu'être n'était pas un prédicat réel », utilisait, horresco referens, l'argent : cent thalers possibles ne feront jamais cent thalers comptants. Dont acte. La raison dément le contraire. Aussi de quel recours serait l'ontologie contre la difficile situation que constitue, historique et non pas historial, le fait d'être juif ? Pourquoi précisément en 1947, Emmanuel Lévinas, disciple de Heidegger pour qui les juifs n'appartenaient pas à l'histoire de l'être – seuls les Grecs et les Allemands – , choisit-il de les y faire rentrer? Et en fanfare encore, considéré le nombre de ses disciples ! Tout bonnement l'harmonie de France Culture, que celle des métaphysiciens de notre misérable temps. En effet, sans broder plus avant l'intéressante question du rapport de Heidegger au «Mouvement» et aux juifs sur la grande tapisserie du Temps, il suffit de se souvenir que les juifs, pas plus que Rome, l'Angleterre ou l'Amérique, pays à vocation universelle, prisonniers du calcul et de la technique, n'avaient part à l'aube de l'humanité, se devant destinalement d'en devenir les fossoyeurs. Pourquoi tant d'indulgence voire de tendresse envers le Cerbère des frontières de l'Être, cet Heidegger qui, non seulement n'avait pas défendu ses conquêtes et ses disciples juifs, mais fidèle en ceci à Hegel, exclut tout bonnement le judaïsme du champ de la philosophie (4) ? Exeunt le marrane Bodin et à sa suite toute la philosophie politique, fondée sur les saintes Écritures. Ne demeuraient en lice, aux frontières de l'Être, que les Grecs et les Allemands. Eux seuls dans l'univers pouvaient se targuer du très insigne honneur de ne pas appartenir au clan des calculateurs. À eux seuls, donnée la faculté de tenir une narration poétique. C'était là ce qui, selon le philosophe majeur du XXe siècle, faisait de la Grèce et de l'Allemagne des terres de poètes et de penseurs. Foin de la Mésopotamie et de Jérusalem, bergers et nomades, marchands et navigateurs ne sauraient être aèdes... Hors du domaine de Poésie, toutes les hypostasies se font fadaises. La philosophie heideggerienne dessinait les contours du champ mental, que nous retrouverons abâtardi, mais intact chez le tribun Soral et ses séides. La chanson est connue, simple reprise du vieux thème voltairien de l'aridité du désert ne mettant bas que plagiats et redites, à l'envi déclinée et traduite en bien des langues et sur bien des modes. Les héros contre l'Empire de la technè ! La formule est jolie, qui autorise de merveilleuses sagas ; mais enfin, mythe n'est pas plus réalité que symbolisme ne saurait passer pour vérité raisonnable. Bref, il semble que ce retour du judaïsme dans l'être ou plus exactement sa fracassante entrée ou son retour triomphal, pompeusement chabraqué de toutes les sublimes qualités de l'origine, fut davantage le fruit de l'hubris que de la simple raison.

À cette guerre des héros contre l'Empire, les juifs apatrides longtemps ne prirent nulle part, entrés dans la coalition des imbéciles en 1947, précisément au moment où Lévinas commit ce curieux opuscule tant cité et si vanté. Dix-huit pages où l'être juif se pare des plumes du sacré et les juifs se voient célébrés comme le peuple par qui, via le christianisme, le sacré aurait fait son entrée en Occident. Tant d'honneur succédant à tant d'indignité. Tout ce qui est exagéré devient insignifiant. Ce réveil de l'être coïncide avec la création du nouvel État juif dont Lévinas se réjouit avec prudence. Sapientiale ou politique ? Je ne me prononcerai pas. D'une part, l'aspect surnaturel l'enchante et de l'autre, il craint que le judaïsme n'y perde sa singularité. Inutile vraiment d'être Lévinas pour craindre et souhaiter un tel hymen. Notre homme choisira de ne pas prendre parti. Il n'émigrera pas plus en terre sainte qu'il ne s'insurgera contre la création d'un tel État. Croyez-vous que ce fût par excès d'intérêt pour l'autrui arabe dont il ne fait ici aucune mention ? Ou encore qu'il craignît l'échec des efforts de Buber en sa volonté de faire qu'Israël demeurât ce qu'il était et reste «une terre pour deux peuples» ? Aucune mention non plus dans cette lettre à Blanchot d'un possible laboratoire d'Utopie, qui, au lendemain de ce terrible événement, que furent deux guerres mondiales et l'extermination en masse de quatre-vingt millions au bas mot d'individus et d'autant de vies dévastées, eût fait des juifs, s'ils eussent écouté Buber et fussent demeurés socialistes, un peuple réellement admirable, non par essence mais par ses actes. À défaut d'avoir gagné sa place dans «l'économie de l'être», Israël eût figuré le soleil de la consolation au regard des Nations. Rien de ceci n'advint. Les fruits n'ont point passé la promesse des fleurs.

Sans doute ne s'agit-il ici pour Lévinas que de réparation, de faire reconnaître le judaïsme dans le champ de la philosophie et par là de réparer l'injustice fondatrice de la pensée occidentale, gréco-allemande. Noble projet. Hélas un peu terni par la volition de réparer sa propre douleur et sa petite humiliation. Nettement moins glorieux. Je sais à présent la raison profonde, qui m'a fait, contre toute prudence et toute bienséance, oser, en liminaire de cette note de lecture, l'insolent nom «d'enfumage» : j'ai trop admiré Julien Benda, je l'ai trop fréquenté pour ne pas me détourner sur l'heure d'une pensée, qui se prétende philosophique sans être désintéressée. Benda eût été « anti-Lévinas ». Mon intuition m'en prévenait, qu'a confirmée la lecture passionnée de l'important ouvrage consacré par Pascal Engel à « un authentique représentant de la raison » qui « par l'expansion naturelle de son œuvre a produit des adversaires qui ne devaient paraître qu'un siècle et demi plus tard et auxquels il a répondu […] Il aurait aussi été anti-Lévinas (5)... » Derrière l'élection de Lévinas au titre de Philosophe capital et Phare de la pensée française, il y avait Gabriel Marcel et à sa suite, la cohorte de la phénoménologie existentielle française post-Bergson qui fut, nul ne l'ignore, la bête noire du caporal-chef Benda. Si à l'encontre du vitalisme bergsonien, l'imprévoyant avait usé d'un autre ton que celui qui fut le sien, ce timbre brutal et totalement dépassionné de roide Anacréon de la guillotine, la postérité ne se fût pas montrée aussi sévère. Benda a aussi taclé les Byzantins : les poètes que nous avions tant aimés. Sots qui ne comprîmes pas la justesse de ses critiques, nous poussâmes l'erreur jusqu'à soupçonner de jalousie le plus infaillible d'entre les hommes. En lui, aucune bassesse, aucune médiocrité, seulement une passion démesurée de la mesure. Benda avait raison, mais le plus souvent, sa violence, par excès de froideur et d'a-sentimentalisme, excédait les normes de la bienséance, au pays de Malherbes. À tort donc cet amant de la vérité parut inhumain aux «humanistes bêlants (6) ». Qui des Bêlants ou de Benda eut le cœur le plus dur ? Je laisse aux biographes du futur le soin de démêler le sale écheveau des secrets, quand l'ordre des familles se sera tu. Je ne reprendrai pas ici l'ensemble des raisons évoquées par Benda pour condamner ce courant, ce torrent vitaliste, mais retiendrai « la volonté d'humilier les valeurs de connaissance devant les valeurs de l'action » et surtout « l'exaltation de la vie contre la pensée ». Au lieu de définir simplement le judaïsme par sa seule pensée, Lévinas le dissout dans un être amalgamé à l'existence en tant qu' « accomplissement de la condition humaine en tant que fait, personnalité et liberté. » Ce faisant, il enjuive l'humanité, faisant paraître la persécution comme offense collective, reprenant le vieil adage biblique selon lequel « qui tue un homme tue l'humanité ». Longtemps qu'elle est morte à ce compte la pauvre humanité ! Pour ma part, je préfère la littérature à la philosophie, aussi la personnification par Romain Gary de l'humanité « comme patrouille perdue, dans le dos de laquelle tout le monde tire, une si vieille personne » me sied-elle davantage. La philosophie, selon Benda comme elle l'était selon Kant, doit se résoudre, humilité des orgueilleux, à aider à penser et non pas à agir. Confusion dangereuse. Outre-Rhin, nous vîmes le vitalisme se faire guerre totale et soutien légitime de l'eugénisme et du racisme.

Par un curieux retournement, le juif Lévinas, en dépit de ses vives dénégations, à l'envi reprises par ses disciples, conserve, sienne et entière, la philosophie du Maître. Concédons-lui le génie d'un tel maître. Mais comment Lévinas, qui souvent confond éthique et philosophie, peut-il faire de la loi mosaïque devenue morale commune la pierre angulaire de sa philosophie et demeurer heideggerien ? Un vrai philosophe chauve-souris que Maître Lévinas, tantôt maître de l'éthique et tantôt métaphysicien, comme le chiroptère de La Fontaine, s'affirmant, selon l'occasion, oiseau ou rongeur. Je ne sais rien des raisons psychologiques ou circonstancielles qui condamnèrent Lévinas à traduire en langue française et à judaïser la doctrine heideggerienne.

Je me souviens seulement qu'en 1929, à Davos, aimable commune du canton des Grisons, le jeune Emmanuel Lévinas choisit librement, petit juif lithuanien, d'embrasser le parti de son maître Heidegger contre celui du juif Cassirer. Contre le Kantien, il élut le Métaphysicien et choisit la noble place de fossoyeur de l'humanisme. Nous, qui savons aujourd'hui comme l'exclusion du juif de la philosophie allemande précéda de peu son éviction de la même scène et la tentative d'éradication du prétendu virus, sommes partagés, lisant Lévinas, entre inextinguible fou-rire et consternation. Depuis ce jour, inlassable, l'élève dédaigné mendiera à son mentor la place qu'il estime devoir lui revenir comme juif « dans l'économie de l'être. ». Dans la langue du bourreau, écrire son histoire, graver son nom à l'ombre des forêts, chercher le sein de la blafarde marâtre, paraît fou. Pas plus fou que préférer, juif, au vieux Cassirer (7) – le philosophe, qui définissait l'homme comme «un animal symbolique », le philosophe qui plaçait, comme unique frontière, susceptible de séparer les grands singes, capables de signer en langage des sourds et de transmettre ce langage à leurs petits, l'humain usage des langues et cette faculté de recourir aux mythes et à l'allégorie – , un Heidegger de quarante ans, à l’acmé de sa puissance intellectuelle, évoquant le triomphe nécessaire des forces de mort et la nécessité de transmuer la seconde santé nietzschéenne en brutalité. Non seulement Lévinas fut proprement hystérisé d'admiration pour son ennemi (8)  mais, le soir, couvrant sa chevelure de farine, le muet, retrouvant ses esprits, fit encore rire ses camarades de chambrée, en singeant, boitillant et sautillant, la déroute du vieux juif, portraiturant méchamment l'intellectuel juif en Charlot, chassé par la police de la pensée.

Trois ans plus tard, Ernst Cassirer embarquait pour l'Amérique ; Lévinas devait choisir la France, figurants très involontaires du plus formidable des blockbusters encore jamais parus sur la scène mondiale : Hitler et Heidegger, un film d'Allemagne. L'ontologie, indice de la finitude, emporterait toute faiblesse au néant en réponse « à la requête historique présentée par la révolution allemande à la pensée pour la détourner du prestige du rationalisme et la plonger à nouveau dans le mystère de l'être (9).»

On pourrait encore écrire bien des choses de ces dix-huit pages. À notre tour, sourire du leurre tout générationnel de Lévinas, quant à la possible assimilation juive ou même israélite en terre chrétienne et aux usages que firent les poètes catholiques de l'héritage, rappeler que seul Péguy ne détourna pas le fleuve biblique pour servir la seule hagiographie chrétienne. Tout ceci n'a plus aucune importance.


En revanche, ancrer le judaïsme dans le domaine de l'irrationnel, à l'heure du retour de la philosophique politique, à l'heure où renaissait la possibilité de l'État souverain selon le chapitre 20 du Traité théologico-politique, constituait – puissances funestes de la nomination – un crime, non seulement contre la pensée, mais un crime contre l'avenir. Vingt ans plus tard, l'armée israélienne, ayant rendu le Mur occidental aux juifs, l'irrationnel reprendrait du service pour le malheur commun des nations, des Palestiniens et des juifs.


Pour clore cette douloureuse et très sinistre affaire, convenons qu'être juif tient autant de la philosophie que de l'ethos, un simple fragment d'anthropologie humaine, une page du grand livre des civilisations. Être juif ? Une manière particulière d'affronter la ténèbre et d'ordonner le chaos par le mythe, la prière et les rites, à l'aide de toutes les puissances de la symbolisation. Dans la grande nuit des hommes, s'évertuer à trouver son chemin et à donner sens au bref espace de temps qui sépare, d'un néant l'autre, individuellement et collectivement, la créature humaine, la nature, les animaux et les plantes de leur disparition programmée.

Moi, qui n'ai foi qu'en l'homme, attentive à cette minuscule clameur héroïque à laquelle les Grecs donnèrent le nom de kleos, comme un coup de cymbale dans le vide du monde, et me contente de lire les textes sacrés comme je m'évertue à déchiffrer Homère et Shakespeare, je m'étonne fort qu'un juif, après la tentative d'extermination, puisse croire voir en ces textes au lieu d'un spicilège de contes où se mêlent enseignements, sagesses, préceptes et consolations, le portulan de quelque arrière-monde. Être juif ? Peut-être une simple affaire d’héritage. Est juif qui accepte le legs de pères, qui eux-mêmes le tenaient de pères, qui le tenaient d'Abraham, qui lui-même le reçut du Père.


Je sais nombre de mes coreligionnaires en accord parfait avec la pensée lévinassienne. C'est là, je le leur concède volontiers, une honnête manière de retrouver un minimum de dignité après la catastrophe, mais je ne peux m'empêcher d'estimer cette adhésion un soupçon... – comment dire ? – psychotique. En effet, Primo Levi a merveilleusement décrit la méthode à l'aide de laquelle leurs bourreaux tentèrent de retrancher les juifs de l'humanité. Une scène a toujours retenu mon attention. Si c'est un homme justement. Primo Levi, un laid matin, se voit convoqué par l'officier en charge du département de chimie de l'usine. Avant de l'intégrer à l'équipe, le fonctionnaire, chimiste dans le civil, teste les connaissances du postulant. L'entretien, au premier abord, semble tout à fait ordinaire, normal. Un examinateur interroge un candidat. À cela près, décalage tout droit sorti de la catégorie de l'absurde, que l'interrogateur discourt de science avec un candidat qui n'existe pas. Son regard en effet le traverse sans le voir. Pour lui, il n'existe tout bonnement pas. Voici le chimiste Levi nié, comme à d'autres occasions, un matricule ou un autre, sélectionné, battu à mort ou exécuté par ennui. Être puni sans avoir fauté passera sans doute pour une des définitions de la condition humaine, mais on pourrait tout aussi aisément soutenir qu'il s'agit d'un point de vue erroné en ceci que, contre l'injustice, l'homme toujours se rebelle et qu'en cette rébellion et en elle-seule, gît toute sa dignité. Son unique dignité. Kleos, belle gloire, honneur, résistance... Les noms varient, mais l'acte demeure. La capacité de refuser le statut imposé – celui de victime – , la volonté de s'affirmer, oxymore, homme à Auschwitz – en se souvenant de l'Enfer de Dante ou en notant patiemment chacune des traces de l’irrationnel en actes – , en un mot, toutes les formes de résistances : psychiques, intellectuelles ou factuelles, servent davantage le difficile rétablissement de l'image de soi, que la frénésie d'appartenir à «l'histoire de l'être», quand on en a été, la belle affaire, chassé ! Nos ennemis ont certes un instant tenté de nous retrancher de l'humanité. Tant d'autres, chinois, Mandchous, Russes ont souffert – particulièrement des médecins de l'unité 731 – semblable épreuve et en notre compagnie encore, tant et tant d'êtres humains, tsiganes, slaves ou noirs...

Génération 1945, à l'encre noire sur nos bras, ce numéro en attente d'effacement exige le retour de ce que Primo Levi nommait « honnête figure cartésienne» et Cassirer, attention au langage, unique medium susceptible d'unir un homme à un autre. Aucune altérité radicale ici. Seule, la pratique d'un jeu de formes dans l'Histoire, soutenu par un vertueux effort de symbolisation, qu'on dit civilisation ou culture selon les climats, à l'assaut de la finitude et de la difficulté de vivre.

Je veux me souvenir que le juif Benda, qui n'attendait aucune intervention pratique de la philosophie dans l'histoire humaine, soupirait en 1945 « Quand je pense que c'est pour cette humanité que sont morts Socrate et Jésus.» L'humanité est une et son être, si l'on se résolvait à la métaphysique, serait un.

À ce compte et seulement à ce compte, nos fils connaîtront un futur. Enfin, à l'instar de Vladimir et d'Estragon, ils pourront toujours persister, comme le firent leurs ancêtres, à l'attendre. L'espérer peut-être.


Sarah Vadja



Emmanuel Lévinas, Être juif, suivi d'une Lettre à Maurice Blanchot, 76 pages dont 34 de préface, 18 pour le texte et 6, 5 pour la lettre, Petite bibliothèque, Rivage-poche, mai 2015, 5 eur




1 Auteur principalement de Penser contre Hegel et de l'Étoile de la rédemption, commencé dans les tranchées et expédié sur des cartes postales à sa famille. Il fut aussi le co-traducteur de la Bible en allemand, travail que Martin Buber achèvera seul, Rosenzweig succombant en 1923 comme tant d'autres à l'épuisement du soldat.

2 1878 Vienne – Jérusalem 1975, philosophe, conteur et pédagogue israélien. On lui doit, outre la redécouverte du hassidisme et des ouvrages consacrés à la philosophie juive, le témoignage le plus lucide sur le conflit israélo-arabe. L'ensemble des textes consacrés à cette question se trouvent rassemblés dans un volume titré : Une terre et deux peuples, reparu au Lieu commun en 1985.

Être juif composé en 1947 constitue une réponse à La Réflexion sur la question juive de Sartre, parue pour la première fois en 1946. Selon Sartre, et pour schématiser, le juif est juif dans le regard de l'autre et il convient de distinguer «les juifs authentiques qui subissent leur condition de paria avec stoïcisme des inauthentiques qui cherchent à se fondre dans la masse, mais sans jamais y parvenir. Mais la difficulté à s’assimiler n’est, en réalité, que partiellement vraie, parce que bien que le juif qui le désire n’y arrive pratiquement jamais de son vivant, deux ou trois générations plus tard l’assimilation est néanmoins accomplie. » La position sartrienne méritait certes un correctif, celui de Lévinas pose tout de même quelques problèmes à la raison.


4 À propos de l'apport de la philosophie juive à l'Occident, hormis le Traité théologico-politique de Spinoza ( principalement les chapitres 8, 17, 18, 19, 20 et l'oeuvre de George Vajda ( Vrin, Maisonneuve et Cerf ), particulièrement l'Introduction à la pensée juive du moyen-âge ( Vrin, 1947), le lecteur pourra lire un très remarquable article de Blandine Kriegel, in La Règle du jeu, janvier 2010 « La pensée moderne et le judaïsme».

5 Pascal Engel, Les Lois de l'esprit, Julien Benda ou la raison, éditions Ithaque, mai 2012, un maître ouvrage de 342 pages, qui aura nécessité l'exploit de lire et non pas seulement de compulser la totalité du corpus de la philosophie analytique française, afin de rendre à Benda sa juste place dans le paysage intellectuel français : celle d'un empêcheur de penser faux, surtout celle du dernier amant de la vérité et de la raison paru au temps du retour de l'irrationnel et de son alter ego, la barbarie.

6 La formule est de Romain Gary.

7 Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, 1) Le langage ( 1923) ; 2) La pensée mythique ( 1925) ; 3) La phénoménologie de la connaissance ( 1929), repris et traduit par les éditions de Minuit en 1975 lors de la parution de son dernier opus : Essais sur l'homme.

C’était comme si un éclair gigantesque fendait le ciel sombre(…) Les choses du monde étaient là, ouvertes, dans une clarté presque douloureuse. (…) Il n’était pas question d’un «système», mais de l’existence. Lorsque je quittais l’amphithéâtre, j’étais muet de stupeur. Il me semblait avoir entrevu le fondement du monde.»

9 Cit. De Heidegger, in présentation par Henri Declève du fameux débat, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1969_num_67_96_5514

10 Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, 1) Le langage (1923) ; 2) La pensée mythique (1925) ; 3) La phénoménologie de la connaissance (1929), repris et traduit par les éditions de Minuit en 1975 lors de la parution de son dernier opus : Essais sur l'homme. 

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