Correspondance Maurice Genevoix-Paul Dupuy : Une amitié au-dessus de la mêlée

Août 1914, la guerre éclate. Paul Dupuy, secrétaire général de l’Ecole Normale Supérieure, demande aux élèves mobilisés de lui écrire depuis le front. Parmi eux, le sous-lieutenant Maurice Genevoix (1890-1980) tient aussitôt sa promesse. Evoquant les faits d’armes, la vie quotidienne des tranchées dans la boue particulièrement collante de la Woëvre, il tente de transmettre sa peur pour l’exorciser. La vie de tranchée est une vie de marmotte ou de fœtus, écrit-il horrifié devant les scènes qu’un homme de l’arrière ne peut concevoir. Genevoix peint les scènes d’apocalypse qui passent devant ses yeux effarés : Cette guerre est ignoble ; j’ai été pendant 4 jours souillé de terre, de sang, de cervelle. J’ai reçu au travers de la figure des paquets d’entrailles, et sur une main une langue, à quoi l’arrière-gorge était attachée. Genevoix imprime cette boue sur la page, conscient d’étaler vainement cette misère. Pour la première fois, il témoigne, dans une intimité chaleureuse. 

 

Paul Dupuy, standardiste de l’amitié, centralise les informations au sujet des élèves, avant de les faire circuler. Mais surtout, il s’efforce de ressentir l’horreur des jeunes soldats et sympathise – au sens fort du terme. Il conçoit, grâce aux lettres de Genevoix et des autres étudiants, les formes innombrables et surprenantes de la mort, découvrant cette vie de l’homme des tranchées qui vaut celle des cavernes. Jamais il ne s’apitoie sur le sort des combattants, préférant soutenir le moral de son jeune correspondant qui excelle dans l’art épistolaire. Je suis sûr que ce qu’il y a de meilleur en vous s’est réalisé tout entier dans cette épreuve, écrit-il à Genevoix déterminé à se battre sans fléchir devant la mort qui ratisse autour de lui. Les condisciples de Normale Sup’ ne sont pas épargnés – cela va de soi ! – : une élite se délite.  Dupuy, épistolier talentueux, s’avère efficace dans la démonstration de sa profonde amitié, aiguisant les qualités morales de son correspondant. La conversation au dessus de la mêlée transfigure cette vie de crucifiés vivants qui traversent des champs d’honneur déshonorants. Dupuy manie la plume comme une arme qui revigore, persuadé que les mots peuvent guérir un homme meurtri dans sa chair, blessé dans son âme. 

 

Le 25 avril 1915, Genevoix est blessé dans la Meuse. Entre la vie et la mort, il est conduit à l’hôpital de Verdun. Paul Dupuy fait le déplacement pour le soutenir. Le convalescent traumatisé est pressé par son « maître » de vider l’abcès par l’écriture. Dupuy visait autant à drainer le pus de la guerre hors d’un esprit malade de trop de violence et de trop de chagrin, qu’à obliger le jeune homme à donner le grand livre qu’il portait, ce témoignage sur la guerre qui dirait la vérité, et la ferait voir et entendre, écrit Michel Bernard* dans sa préface. En deux mois de temps, Genevoix encore sonné par la guerre, écrit Sous Verdun, qui sera publié en mai 1916, grâce à l’indéfectible soutien de Paul Dupuy, toujours. Il est des amitiés qui sauvent : cette magnifique correspondance en témoigne.

 

*Rappelons que Michel Bernard est l’auteur de Pour Genevoix – également à La Table Ronde,  2011 –, portrait sensible d’un écrivain injustement négligé.

 

Frédéric Chef   

 

Maurice Genevoix – Paul Dupuy, Correspondance, 28 août 1914-avril 1915, préface de Michel Bernard, La Table Ronde, coll. « Vermillon », novembre 2013, 336 pages, 24 €

 

Aucun commentaire pour ce contenu.