Maurice Genevoix : Une voix retrouvée

Il aura fallu notamment le magnifique Pour Genevoix de Michel Bernard et l’obstination éditoriale de La Table Ronde pour que l’auteur de Raboliot reprenne le chemin des librairies et retrouve peu à peu son public. La Mort de près, La ferveur du souvenir, la Correspondance avec Paul Dupuy sont venues trouver leur place dans la cohorte de rééditions – souvent bienvenues – des textes fondateurs de la mémoire autour de la Grande Guerre. Inlassablement, Michel Bernard prend la plume pour nous dire que Genevoix (1890-1980) est un grand écrivain – pas seulement parce qu’il était académicien –, mais parce que sa voix sonne toujours juste. Préfacier, ici, il souligne avec justesse qu’après des temps d’oubli et pour longtemps son élocution posée et vivante sert une langue familière dans la plénitude de ses pouvoirs. 

 

C’est d’élocution dont il est question au travers de ces pages restituant quelques entretiens radiophoniques donnés par l’auteur de Rroû. Bien sûr il manque les enregistrements qui nous feraient entendre au sens propre les "inflexions chères qui se sont tues" de l’homme affable qui avait survécu aux épreuves de la Grande Guerre. Mais le ton est là, les mots justes, chaleureux, concrets et peu portés aux généralités. Une fois encore, l’auteur de Ceux de 14 revient sur les épisodes qui l’ont bouleversé à jamais et lui ont servi de viatiques. Ainsi, ces fausses morts du miraculé qui eut la possibilité de voir la mort de près, d’avoir le nez dessus et d’en réchapper : je crois que si je lui dois une leçon, ou peut-être un enrichissement dans une certaine mesure, c’est le respect de la vie, un certain sentiment viscéral, de la vie, de ce qu’elle a à la fois de magnifique et de cruel. L’après-guerre, vécu par Genevoix et les millions d’autres hommes ayant plongé dans la peur sans fond et sans fin, fut l’occasion d’échapper à la duperie sociale : nous ne pouvions pas marcher, ce n’était pas possible. […] Il était hors de question de tricher, il s’agissait là d’une espèce de vague de fond ou de rafle qui arrachait tous les masques. L’humanité trouvée dans l’horreur serait la clé d’une vie débarrassée à jamais de la haine. Genevoix, après cette table rase, n’avait plus qu’à déposer d’instinct d’abord, et ensuite d’une façon tout à fait délibérée – au service d’une vérité bonne à dire pour des quantités de raisons, et d’une réalité par elle-même tellement intense, tellement colorée – tragiquement –, tellement pathétique au point de vue littéraire même, que ce n’était pas la peine de fabuler, que ce n’était pas la peine d’arranger, que c’était même coupable ; que tout mot à effet, c’était gauchir, c’était mentir dans une certaine mesure. 

 

Revenu de ses cauchemars, Genevoix retrouva le chemin d’une vie presque paisible et arracha au néant l’œuvre que l’on sait. Réconcilié avec les hommes et la nature dont il allait faire ses personnages et ses motifs, cet amoureux de la vie put contempler la Loire depuis sa maison, film interminable et grandiose, fleuve de métaphores qui filent : Le soleil se reflète sur l’eau et provoque des reflets à facettes, des reflets mouvants, qui répètent exactement les ondulations du courant, et qui, à travers les feuilles des arbres vont frapper le plafond, au-dessus de ma tête […] je vois l’ombre des feuilles, je vois le frémissement des feuillages, il n’y presque plus besoin d’imagination. C’est un plaisir incomparable d’"entendre" à nouveau la voix Genevoix.   

 

Frédéric Chef

 

Maurice Genevoix l’harmonie retrouvée, préface de Michel Bernard, coll. « Les grandes heures », La Table Ronde, octobre 2014, 80 pages, 19 € 

 

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