Itinéraire de la fuite

Un homme fuit. On ne connaît ni son nom, ni son prénom, Joseph, peut-être, pas plus que son métier. Il a l’allure et le dénuement d’un SDF, mais on n’en sait pas plus. Il a quitté un endroit (probablement Paris) pour une maisonnette aux alentours d’Aix en Provence. Ce cabanon est un lieu de la fin de l’enfance, peut-être y a-t-il été heureux en compagnie de gens aujourd’hui disparus : Baptiste, Valérie, une femme des années soixante dix, une femme d’autrefois.

On ignore ce qu'il laisse derrière lui. Il est recherché dans l’intérêt des familles.  Il ne veut pas être retrouvé. Il a un revolver, « cette possibilité de la mort »,volé il y a longtemps chez un ami. S’en est-il déjà servi ? C’est possible. Dans son refuge, il se remémore sa mère morte en le mettant au monde, son père qui n’était pas son père, sa jeunesse,  la sorcière, les femmes qu’il a aimées, sa recherche de la pureté,  son obsession pour le blanc, sa peur des chiens (les chiens de l’inconscient ?)…
Désargenté, en quête de provisions, il visite une maison jadis fréquentée qu’il suppose inhabitée, elle ne l’est pas. Sa propriétaire est probablement une ancienne amoureuse.  Son anonymat auquel il tient tant n’en est pas un : tout le monde sait qu’il est revenu dans la région.

Dans cette fuite, Emmanuel Bing  brosse le portrait d’un homme qui se « débat avec l’attirance du gouffre, avec  la mort en lui. Avec le désastre ».
Passant de la troisième personne du singulier à la deuxième personne du pluriel, entremêlant passé et présent, souvenirs et fantasmes, l’auteur offre un roman puissant, troublant sur le conscient, l’inconscient, l’angoisse, l’intranquillité de l’humain. Le désir de mort s’oppose à la volonté de vivre dans un décor de pinède idyllique qui n’apaise en rien l’homme traqué par ses propres démons.  Truffée de mots rares : berimbau, ensoi, la langue magnifique, travaillée, raffinée de l’auteur ajoute encore de la rareté à ce livre sophistiqué et réussi.

Brigit Bontour

Emmanuel Bing, Itinéraire de la fuite, Maurice Nadeau, avril 2019, 135 p.-, 16 €

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