Maurice Renard, dans la brume électrique

RENARD-COUVERTUREQuel éditeur actuel sinon L’Arbre vengeur livre un véritable combat à rebours de modes et de conventions afin de faire redécouvrir les plus significatives œuvres du domaine fantastique français ? On comptait déjà à leur catalogue le troublant L’Homme qui s’est retrouvé de Henri Duvernois, l’inquiétant Bacille d’Arnould Galopin, l’affolant Quinzinzizili de Régis Messac et surtout le sublime L’Œil du purgatoire de Jacques Spitz. Autant de classiques – ce qui signifie donc autant de titres ou d’auteurs injustement oubliés – qui représentent, avec un style enlevé et dans un profond climat d’angoisse, les principaux registres de la veine : la dyschronie, les fictions scientifiques, le réalisme magique, etc.


Maurice Renard (1875-1939) fait partie de ces pépites qui sont longtemps restées coincées dans quelque trou du tamis de l’injuste postérité. Puis, on avait pu entrevoir son nom dans l’anthologie Le Petit musée des horreurs parue jadis chez Bouquins. L’une de ses longues nouvelles, intitulée Le Rendez-vous, y avait été reproduite ; et cette histoire de suggestion hypnotique était en effet l’une des plus effrayantes de l’ensemble. Depuis, Maurice Renard se rencontrait tantôt chez Corti (avec Le Docteur Lerne, sous-dieu) ou chez In Folio (avec Le Péril bleu).


Et voici que L’Homme truqué sort de l’ombre où il se tapissait depuis 1921. Ses prunelles brasillent dans le noir, il vous fixe à travers l’épaisseur des ténèbres que, lui, arrive à transpercer, en nyctalope artificiel. Mais distingue-t-il vos traits pour la cause ? Serait-il même en mesure de dire si vous êtes un homme ou une femme, jeune ou vieux ? La confession retrouvée sur le cadavre du Docteur Bare, gisant sur une route départementale isolée, nous en apprendra sans doute davantage sur ce spécimen.


C’est l’histoire d’un poilu qui revient du front, alors que tout le monde l’y croyait mort. C’est l’histoire d’un soldat blessé au visage et sur lequel des médecins allemands se sont livrés à de dangereuses expériences. C’est l’incroyable histoire de Jean Lebris, l’homme truqué, aux yeux trafiqués dans un but militaire, et qui est désormais doué de la faculté de voir l’invisible : il peut discerner les courants et les fluides électriques qui parcourent ou que dégagent les corps. En quelle arme peut se muer un tel individu, capable de détecter le moindre mouvement ennemi en pleine obscurité ! Et quelle perte il représenterait pour ses concepteurs, s’il parvenait à leur fausser compagnie ! Il y parvient, et rentre au pays, à la surprise générale.


Une fois passé le cap du « prologue-épilogue » quelque peu pesant, L’Homme truqué se dévore. Le talent romanesque de Maurice Renard s’impose page après page, et son imagination embarque le lecteur dans une élucubration parfaitement vraisemblable, loi du genre oblige. Si bien qu’à la fin, à la question de savoir si l’on vient de lire un roman d’anticipation, sentimental, d’espionnage, de guerre, d’amitié, de technoscience avant la lettre, on ne peut que répondre : « Un vrai roman ». Et on le range parmi ceux que l’on reprendra, un jour ou l’autre.


Frédéric Saenen


Maurice Renard, L’Homme truqué, L’Arbre vengeur, juillet 2014, 140 pp., 10 €.

1 commentaire

Merci pour cette critique très pertinente qui nous rappelle à quel point de nombreux textes de fantastique français et belges doivent être exhumés.