Casanova et les feux de l'amour

Casanova a créé avec Histoire de ma vie un journal de bord qui n'asservit pas le lecteur à son existence  mais fait plus :  l'obliger à devenir son complice en lui suggérant, sous la trame traditionnelle, des perspectives érotiques, sociales, politiques et ésotériques par une faconde et une maîtrise ironiques. Casanova ne cherche pas à  justifier ses incohérences mais à les englober dans une narration en soutenant que la vie des autres comme la sienne – telle qu’elle nous apparaît dans la réalité du livre – est par anticipation  non seulement de la photographie mais du cinéma. Le lecteur en appréhende l’action par plans-séquences, par recoupements élastiques.
C’est une perfection stylistique. Il n’y a rien d’autre que les moments que nous passons avec cet être dont nous croyons comprendre la vie. Quand il raconte ce qui lui est arrivé ou qu’il prévoit devant nous ce qu’il a l’intention de faire il reste un grand seigneur et un des plus grands prosateurs de l’histoire de la littérature francophone.
Le passage de l’hier à l’aujourd’hui pour son livre a connu bien des coups d’épingle de l’oubli. Mais désormais la cause est entendue. La Pléiade a bien fait les choses pour cette première édition exhaustive mâtinée d’un album intelligent et riche. Les personnages même les plus spasmodiques y trouvent de la cohérence. L’iconographie complète une littérature de présomptions, d’hypothèses et d’inventions. Éminemment borgésien avant la lettre Casanova s’est donc bâti et a défini sa quête d'une vérité fondée sur un rejet radical de ce qui était généralement établi  en matière d’art et de morale. D’où la force d’une œuvre-quête reconsidérée à la lumière de l'absence et réorientée vers Venise et ses canaux métaphysiques. Au besoin le méchant homme pouvait y plonger comme l’hirondelle nage en l’air, tournant fascinée autour des cloches de Saint Marc.
Comme elle l'auteur se laissa tomber pour mieux rebondir ensuite avec des envolées lyriquement caustiques. Casanova a donc su décrire mieux qu’un autre les désirs, leurs méandres. Il a su les regarder les siens d’en haut comme il a observé d’en bas ceux de ses comparses. Un absolu régal.

Jean-Paul Gavard-Perret

Casanova, Histoire de ma vie, coffret de 3 tomes, coll. de la Pléiade, Gallimard, 2015

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.