Attentes : Paule Du Bouchet

Suite au départ de sa mère (elle quitte un poète pour un autre, André du Bouchet pour René Char la passion de sa vie) à l'âge de 6 ans, Paule aurait pu être terrassée par un monde dont toute la puissance risquait de l'accabler. Que ce soit celle d'un soleil sur le point de naître, avec les lueurs pourpres qui le précèdent ou celle de ce même soleil quand il s'évanouit au crépuscule.

Mais néanmoins en cette sorte de Carnet intime (repris et augmenté), grevé de lettres de sa mère à son amie Carmen Meyer, l'auteure prouve qu'elle a non seulement affronté son existence mais a su y avancer comme sur le câble que la vie lui tendait au-dessus du vide.

Paule du Bouchet sait s'appliquer à regarder droit devant sans tomber. Et après ses actes de résistance vient celui non du pardon mais d'une sorte d'intercession pour cette mère. Afin de  la dire – et comme son père – elle avance dénuée dans la langue qui pourrait pourtant se prêter ici à tant d’éloquence du pathos.

D'une telle langue la créatrice sait s'abstraire pour capter la rumeur des mots dans la rigueur du vide, dans le mutisme des glaciations que ses parents lui octroyèrent. Elle épure le moindre, s'éloigne de toute mièvrerie pour faire entendre le silence dans lequel elle fut rivée.
La mémorialiste de son existence se  situe au cœur de l’obscurité comme de l'amour. Elle le réverbère sur la voûte sonore des mots et leur épreuve. En dehors de l'«Horizon vide du à dire» (Husserl) elle pousse son livre à l’extrême le temps de la réflexion en préférant au passé le futur antérieur.

Contre la nostalgie et son chaos, l’enfant abandonnée a su revenir de tout. Face aux débâcles du passé elle crée une ligne de démarcation. Et si le vide créa le concret, les interrogations du passé trouvent ici des réponses.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Paule du Bouchet, Emportée (suivi d'une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer), éditions des femmes / Antoinette Fouque, mars 2020, 128 p.-, 14 €

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