Mémoires de Joseph Fouché

Eclairage historique, réécriture du passé ou apologétique politicienne, les mémoires forment toujours un objet littéraire qui tire son caractère protéiforme de la multiplicité des enjeux que se fixe l'auteur. Fouché, pour sa part, ne visait pas la postérité littéraire, encore que sa plume témoigne admirablement de son passage aux Oratoriens, seul lui importait le jugement de l'Histoire.

Il rédigea ses Mémoires afin d'expliquer son rôle de ministre de la Police. Il y raconte son ascension tout en occultant les casseroles que sont "le mitrailleur de Lyon" ou l'affaire Clément de Ris qui ont forgé sa légende noire. Rien n'en est dit mais on est en droit de se demander si la répression par les armes de l'insurrection de Lyon ne l'a pas marqué durablement. Cela expliquerait son dégoût pour les mesures violentes et sa généralisation de la surveillance et de l'assignation à résidence.


Homme controversé de son vivant, plus encore après sa mort, aux yeux de l'opinion publique comme de ses employeurs, Fouché, ainsi que Talleyrand-Périgord, autre avatar au cuir épais et à l'intelligence supérieure, est de ces personnages que seule la Révolution Française pouvait enfanter.

Député opportuniste, il se loge dans les failles d'un Directoire qui s'écroule au poste de ministre de la Police afin de mieux mettre à bas ce régime. Devenu cheville ouvrière du Consulat dont il a aidé la formation, il perçoit très vite le despotisme latent chez Bonaparte en même temps que son talent militaire et choisit de lier son destin au sien pour le meilleur et pour le pire. En effet, Fouché, semblable en cela à Philippe de Commynes oeuvrant pour Charles le Téméraire, va s'apercevoir très vite que le Premier Consul est également un homme belliqueux et lunatique, que ses accès d'humeur brouillent ses jugements et qu'enfin, il n'hésite pas à recourir au meurtre et à l'assassinat pour conserver un pouvoir dénué de fondements légitimes. Régulièrement, le ministre qualifiera les actions, les arrestations, les exécutions, de l'épithète d'impolitiques. Le préfixe fait sens.

Acteur du coup d'état du 18 brumaire, il est reconduit dans ses fonctions de ministre où : "[s]on crédit prit dès lors l'assiette qui convenait à la hauteur et à l'importance de [s]es fonctions" et où il fut : "plus fort que tous [s]es ennemis réunis ensemble". Ce poste-clé lui permet d'étayer un réseau d'informateurs recrutés aussi bien parmi la population interlope de Paris que parmi celle des ambassadeurs et des banquiers. Toutefois la proximité du ministre rompu aux idées des Lumières avec un monarque absolu en devenir est de moins en moins compatible et Fouché voit sa disgrâce arriver. Prudent, il conserve tous les courriers de Napoléon afin de garantir sa vie car il craint les "embûches dans l'ombre", l'euphémisme est de bon ton. Il rend à l'Empereur, après avoir obtenues des garanties, les échanges épistolaires dont la destruction est ordonnée séance tenante.


Les Mémoires dessinent également un tableau des moeurs intéressant par son aspect scandaleux, la police des moeurs n'échappe pas au trait de la description. On y apprend la vie dispendieuse de Joséphine Beauharnais, les "mille francs" que lui versait mensuellement le ministre afin qu'elle le tienne informé de l'état d'esprit de Napoléon qu'il dépeint comme un autocrate cupide et paranoïaque.

Les tripots en tout genre, établissements de jeu, maisons de débauche versaient eux leur écot à la police pour s'assurer si ce n'est une totale impunité, du moins une relative tolérance voire des "services". Qu'on s'étonne dès lors du nombre étourdissant de "danseuses" dans l'entourage de l'affairiste Lucien Bonaparte !

Le parcours de Fouché montre enfin dans quel état d'esprit se situe une partie de la France au sortir d'une Révolution dont elle fera plus tard tout un panégyrique. On y voit comment le régicide, cette violence faite aux consciences, était parvenu à projeter sur une nouvelle terra politica incognita des hommes qui se réclamant les instruments du peuple voulaient avant tout s'en rendre les maîtres.


Epiphane


Joseph Fouché, Mémoires, édition établie par Sandrine Fillipetti, Mercvre de France, octobre 2015, 416 pages, 19,80 eur

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