"La Voix intérieure" de Vincent Pieri

La Voix de son être

 

Le roman de Vincent Pieri la Voix intérieure est rempli de chants gitans, mais, comme l’indique son titre, et comme le dit une chanson connue, la musique est un cri qui vient de l’intérieur.

 

Tous les violonistes, y compris les violonistes amateurs, savent que la pièce de leur instrument qui se nomme « l’âme » a amplement mérité son nom. Invisible et insignifiante pour le profane, cette tige de bois de quelques centimètres, qui se borne à faire le lien entre le fond et la table du violon, est peut-être l’élément le plus important pour la pureté du son produit. Qu’elle vienne à tomber ou seulement à se déplacer de quelques millimètres, le plus grand virtuose du monde ne pourra rien y faire : toutes les notes qu’il jouera, sans être à proprement parler fausses, seront comme voilées.


Désespoir d’un jeune musicien qui doit passer un examen le lendemain. L’âme de son violon est en peine. Heureusement, le luthier Nathanaël, dont on lui a vanté les talents, sait en quelques secondes remettre les choses en place.


Mais le luthier Nathanaël n’a pas le même pouvoir lorsqu’il s’agit de soigner les âmes humaines. La sienne, pour commencer, ne va pas très bien, puisque sa femme, qui était violoniste, vient de mourir d’un cancer alors qu’elle n’avait pas quarante ans. Et parce que lui-même, si l’on remonte un peu plus loin, a été, pour des raisons assez mystérieuses, exclu de la communauté des Gitans qui était la sienne.


Alors, en quoi peut-il aider son ami Jean, violoncelliste de son état, quand celui-ci lui explique que, depuis dix-sept ans, il est poursuivi, hanté, torturé, par une espèce de voix intérieure qui n’est pas toujours en harmonie, loin de là, avec les mélodies qu’il doit faire jaillir de son violoncelle ? Il peut y avoir, de temps à autre, des rémissions, mais elles ne sont jamais bien longues. Telle l’hydre de Lerne, cette voix intérieure ne cesse de renaître.


Générosité ou égoïsme ? Nathanaël l’envoie (par procuration ?) chez les Gitans qu’il a quittés, il y a maintenant si longtemps. Par eux, il devrait pouvoir retrouver la trace d’un rebouteux de l’âme peu amène, mais connu pour avoir traité avec succès des cas semblables au sien.


La seconde partie du roman de Vincent Pieri intitulé la Voix intérieure commence alors. Road movie, documentaire sur le monde des Gitans, résultat de trois années de recherche de la part de l’auteur. Road movie parfaitement inutile, et absolument nécessaire, puisque — le titre a le mérite d’être clair — il s’agit d’une quête et que toutes les quêtes sont parfaitement inutiles et absolument nécessaires : ne sont-elles pas elles-mêmes la réponse à la question qu’elles sont censées résoudre ? Tecum fugis, comme disait le bon Sénèque. Tu fuis, mais tu ne te débarrasses pas de toi-même quand tu fuis. Il est évident qu’un musicien qui entend en lui une voix doit bien avoir une part de responsabilité dans la présence de cette voix, même s’il lui plaît de la considèrer comme une intruse. De toute façon, disait encore le même Sénèque, les choses n’ont jamais que l’importance que nous voulons bien leur donner.


C’est cette absurdité baroque de la Voix intérieure qui fait tout son charme. On ne vous dira pas ici si le violoncelliste finira par trouver le rebouteux de l’âme. Quelle importance ? C’est son âme qu’il doit remettre en place s’il veut ne plus entendre cette voix intruse ou, plus exactement, s’il veut l’entendre sans déplaisir. Bref, il doit, comme dirait l’autre, devenir ce qu’il est. Ce qui ne veut pas dire pour autant se figer : on n’a jamais fini de devenir ce qu’on est. Nous savons bien, de toute façon, mais en France plus qu’ailleurs, que le vrai baroque ne saurait se distinguer du classique, et inversement. Voir par exemple la gloire cornélienne : cette gloire est tout autant la lumière qui émane du héros que la lumière qui enveloppe le héros. Ou faut-il inverser l’ordre des termes de cette comparaison ?


Si nous citons ici Corneille, c’est parce qu’il nous plaît de voir en cette Voix intérieure, et malgré toute l’intimité qui semble la caractériser, une œuvre assez largement politique. En cette époque où tout le monde affirme son droit à…, où la France rejette systématiquement la responsabilité de ses difficultés sur l’Europe, où c’est pas moi, c’est l’autre, le roman de Vincent Pieri  a le mérite, ou, plus simplement, le bon sens de rappeler qu’il convient d’abord de balayer devant sa porte, même si ce n’est pas là qu’il y a le plus de poussière, et surtout, de ne pas essayer de dissimuler la poussière sous le tapis.


La Voix intérieure de Vincent Pieri rappelle à tous ceux qui l’auraient oublié que la littérature d’évasion, la vraie, ne saurait être que littérature d’invasion.

 

FAL 


Vincent Pieri, La Voix intérieure, Mercvre de France, mars 2016,  15,80 eur

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