La laitière de Bangalore

La vache en Inde est un bourbier de contradictions et de controverses. Et le symbole des politiques parfois clivantes du pays.
Cette complexité saute aux yeux de Shoba dès son retour à Bangalore après vingt ans passés à New-York.  A peine arrivée dans son immeuble de standing, elle se trouve nez à nez dans l’ascenseur avec une vache et Sarala, sa propriétaire. Stupéfaite, elle apprend que la présence d’un bovidé lors d’une pendaison de crémaillère garantit le bonheur futur de la maisonnée ; la félicité étant à son comble, si l’animal lâche une bouse dans l’appartement aux sols de marbre étincelant. 

La vache de l’ascenseur,  qui abrite  comme ses congénères trente trois mille dieux est immédiatement louée pour l’inauguration de la nouvelle demeure de Shoba. Ravie, sans trop savoir pourquoi, elle cache pourtant à ses filles élevées dans la 66e rue  sur Central Park Ouest, la bénédiction insolite et le réconfort qu’elle y trouve.

Dans Bangalore, une ville toute en contraste où les buildings les plus insolents côtoient la plus extrême pauvreté, les vaches sont partout. Elles errent dans la ville à la recherche de parcelles herbeuses, font à l’occasion les poubelles, ingèrent du plastique et reviennent à l’étable de Sarala à heure fixe pour leur traite. Des accidents surviennent parfois, dramatiques mais  ainsi va la vie, le chagrin est un luxe que les indiens pauvres ne peuvent s’offrir.

Entre Shoba qui redécouvre l’importance de la vache et du lait, vendu à peine trait, et Sarala, la laitière, naît une amitié sincère. La journaliste née en Inde, devenue citoyenne américaine se reconnecte à ses racines en découvrant le quotidien de la fermière. Et quand celle-ci lui demande de participer à l’achat d’une vache, elle entreprend une véritable enquête dans laquelle elle apprend que le lait de chaque animal est différent et aide selon le caractère du ruminant à être actif pour passer des examens ou à se reposer si on est malade.
La vache, mère de l’humanité produit l’élixir de jeunesse, mais pas seulement. Certains boivent son urine, utilisent ses bouses aux propriétés antibactériennes, et vont même jusqu’à préparer le panchagavya, un mélange de bouse, d’urine, d’eau, de yaourt, de lait, soit  un remède censé guérir à peu près toutes les maladies.

Dans ce roman, l’auteur questionne les croyances et les traditions  encore très vives, qu’elle aurait jugées quelques années plus tôt d’un autre âge, voire relevant de la plus obscure superstition. La jeune femme aux origines brahmanes tente de comprendre les ambivalences de la société indienne, se penche sur le culte de la vache, de la médecine ayurvédique, des castes, des mariages arrangés. Le tout dans les atmosphères contrastées des villes,  abritant richesse et misère  ou du calme des campagnes couleur d’émeraude,  avec ses villages qui respirent la joie.

Avec la maturité et la distance de celle qui a  longtemps vécu en exil, elle analyse avec tendresse et sensibilité les fondamentaux de son pays retrouvé à la fois dur et attachant. 
La laitière de Bangalore, roman aux accents biographiques de Shoba Narayan enseignante à l’Indian Institute of Science de Bangalore permet avec un beau plaisir de lecture, d’appréhender l’Inde, cet immense pays si mal connu des occidentaux.

Brigit Bontour

Shoba Narayan, La laitière de Bangalore , traduit de l'anglais par Johanna Blayac, Le Mercure de France, février 2020, 299p.-, 23,80 €

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