L'aurore

Dans le cercle familial de la narratrice, quelque-chose cloche. C’est un euphémisme. La mère est partie, le père est mort, le frère hostile passe son temps à faire des confitures et de la généalogie avec la précision d’un entomologiste. Il ne s’intéresse qu’aux noms, pas à l’existence des personnes dont il découvre les patronymes. La sœur cadette, Agnès, brillante  et instable, est internée à Saint-Anne. 
L’auteure quant à elle, n’a jamais eu l’impression de faire partie de la maisonnée : elle est bizarre, elle cherche à savoir : J’avais assiégé ma famille sans jamais pouvoir franchir les portes de son territoire, toujours repoussée. Ils me trouvaient étrange et je leur reprochais d’avoir fait de moi une étrangère.
Le contentieux est lourd, ancien. 

Tout a semble-t-il commencé à aller de travers quand  parents et enfants sont rentrés de Guyane où le  patriarche était gendarme. Et même si le territoire d’Outre-mer était loin d’être un paradis, elle a le souvenir traumatisant de singes encore vivants dont on mangeait la cervelle, la vie semblait plus simple, la famille n’avait pas encore poussé aussi loin ses ravages,Agnès n’avait pas basculé dans la folie. Ayant quelques années plus tard, soutenu avec brio une thèse sur les structures fractales, elle implose  à l’idée que sa sœur présente ce jour là puisse dire à "maman" qu’elle a réussi sa soutenance. 
Une mère, qui pour tout lien avec ses enfants envoie deux fois par an des cartes postales vides, sur lesquelles figurent uniquement l’adresse des destinataires et sa signature.

Plus que jamais, déstabilisée, elle décide de traverser la France pour informer  son frère aîné de la situation préoccupante de leur sœur  avec la ferme volonté de savoir ce qui s’est passé pour qu’une petite fille se réfugie dans une peur qui lui fait perdre la raison et lui permette de façon paradoxale de survivre.
Et elle qui avait toujours subodoré un secret va en découvrir un, bouleversant, atroce, à l’image de la sauvagerie de la Guyane, de ses anciens bagnards, d’une famille bancale.

L’aurore est un premier roman puissant, prenant qui cherche à remonter le fil d’une histoire  complexe, à exhumer la  série de dysfonctionnements qui ont fini par provoquer le chaos et le délire dans la tête d’une petite fille, puis d’une femme et au final dans celles de tous les membres de la famille.
C’est aussi la description toute en délicatesse d’un amour entre deux sœurs brisées. L’une par  le désordre mental, la seconde,  par la recherche  des causes de ce malheur,  de la compréhension jusque-là vaine du mutisme des parents et du frère, qui eux savaient. La vérité qu’elle va mettre à jour est terrible mais  a au moins le mérite de rassembler les pièces du puzzle du chaos familial.

Brigit Bontour

 

Pia Malaussène, L’aurore, Mercure de France, août 2020, 109 p.-, 12,80 €

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