L'homme en rouge : invitation à une fête littéraire

En 1885, un curieux trio arrive à Londres dans le but de faire un shopping intellectuel et décoratif. Ils  séjournent chez Henry James.  Les trois font partie du beau monde. Le  premier, le prince Edmond de Polignac avait une grand-mère proche de Marie Antoinette. D’Artagnan était l’ancêtre du deuxième, le comte Robert de Montesquiou qui a inspiré  Proust et Huysmans. Quant au troisième, Samuel Pozzi tout aussi connu que ses compagnons,  mais beaucoup moins riche, – il descend de la bourgeoisie provinciale –, il est le gynécologue du Tout-Paris. Il a rendu de grands services à Montesquiou : Il s’est penché en médecin sur sa vitalité de feuille morte.
C’est ambigu à souhait et explique peut-être sa présence dans cet attelage proustien. Proust qui n’est d’ailleurs jamais loin, disait que : Polignac ressemblait à un donjon désaffecté qu’on aurait aménagé en bibliothèque. Quant à Montesquiou, il est qualifié : de genre d’aristocrate qui incite sans effort à la révolution. 

Le docteur Pozzi  est la coqueluche de la ville-lumière, il fut l’amant de Sarah Bernhardt et de beaucoup d’autres femmes, la veuve de Bizet, la fille de Théophile Gautier, de l’actrice Réjane… tout en étant marié et père de famille. Elu maire et sénateur, il travailla beaucoup, à l’hôpital et en libéral, se constituant une prestigieuse clientèle privée.   Il publia l’un des premiers traités de référence de gynécologie en 1890. Une vie professionnelle dense qui ne l’empêcha pas de rencontrer tout ce que la Belle époque comptait d’écrivains, d’artistes, d’hommes politique de tout premier plan.
Eclectique, ce grand collectionneur en pleine guerre de 14, est toujours client de la maison Spink, Médaillistes de sa majesté le roi,  avant de s’éteindre, tué par un patient ou un fou (ou les deux). Transporté à l’hôpital, il demande au chirurgien qui va l’opérer, le genre d’anesthésie qu’il souhaite : assez pour calmer la douleur, mais pas assez pour l’endormir.

De cet homme lettré, dandy, humaniste, Julian Barnes fait un portrait ciselé et bouillonnant après avoir vu un tableau le représentant  à La National Gallery, à Londres en robe de chambre (ou vêtement d’intérieur ?) rouge. L’auteur le décrit bel homme, barbu, svelte dans une pose noble, héroïque et ce qui pourrait être le départ d’une biographie romancée devient très vite le tableau  flamboyant de la Belle époque  et de ses acteurs.  Samuel Pozzi est le personnage principal, mais son entourage est omniprésent. Les frères Goncourt, Maupassant, Daudet, Lecomte de Lisle,  Jean Lorrain, Marcel Proust et beaucoup d’autres dessinent les contours d’années aussi fastes pour la littérature que pour l’histoire.

L'auteur  à la culture prodigieuse, semble s’amuser beaucoup en enchaînant anecdotes et digressions. Parmi celles-ci, une question, essentielle : Qu’est-il advenu de la jambe amputée de Sarah Bernhardt ? 
Il publie aussi  des photos, de son héros bien sûr, (la légende de l‘une d’elle, signée de la princesse de Monaco est : beau beau que c’en est dégoûtant ;  mais également d’Oscar Wilde en costume traditionnel grec ou de Montesquiou en Jean-Batiste décapité. L’effet est détonnant.
Erudit, plein d’humour, vif, cet Homme en rouge se lit comme une fête littéraire autour d’une personnage aussi riche qu’un peu oublié.

 

Brigit Bontour

 

Julian Barnes, L’homme en rouge, Mercure de France, 344 p.-, 23,80 €
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