L'aveuglé d'Anne Lorho

Guillaume a perdu ses yeux et son nez alors qu’étant enfant, il s’était servi du four malgré l’interdiction parentale. Le four a explosé et l’a défiguré. Il a dû réapprendre à vivre. À New York où il habite après avoir quitté la France, il est devenu informaticien dans une banque. Il se débrouille plutôt bien. Très élégant, il s’habille dans les boutiques les plus chics, apprécie les chemises en soie, les lavallières. Il fréquente un salon de massage et Lucy, une prostituée qui ne s’offusque en rien de sa passion pour les bas qu’il adore porter sous ses costumes bien coupés. Il a d’autres goûts, d’autres manies un peu étranges, il adore manger des insectes et prendre des bains de cheveux. 
Pourtant, malgré ces expériences, il se sent seul, en marge, rejeté, conscient que sa tête est un repoussoir : comment survivre à son visage, à la déception qu’il engendre ? se demande-t-il en permanence. 
Pour séduire Carol, une femme qui gravite dans le monde de l’art il décide d’être artiste et imagine un une machine étrange, une œuvre organique à base de bave. Il se lance aussi avec frénésie sur des sites de rencontres où une certaine Gail l’affole avant que n’arrive le jour de la rencontre qui lui réserve une surprise imprévue : la vie est une coïncidence sans fond, affirme-t-il. 
Même son acceptation dans le groupe d’artistes qui évolue autour de Carol est une humiliation sans fin : l’un d’entre eux créé une sculpture le représentant avec ses yeux dans ses mains. Carol quant à elle, lui fait bien comprendre qu’entre eux, c’est différent, mais pas dans le sens où il l’entend, le renvoyant à sa condition de handicapé de monstre, même si telle n’était pas son intention.…
Dans l’Aveuglé, son premier roman, Anne Lhoro peint un aveugle fascinant, dérangeant. À chaque page, le lecteur se demande si son originalité préexistait à son accident ou si la catastrophe et le besoin de s’affirmer, d’exister ont fait naître en lui le besoin de se singulariser, d’imaginer des stratagèmes toujours plus audacieux.
Enseignante spécialisée à l’Institut des Jeunes Aveugles, l’auteure démontre la violence que subit celui qui n’entre pas dans les normes avec un souffle et une folie qui frisent parfois le surréalisme.
La solitude est également de toutes les pages. Si Guillaume/William n’a rien du mal voyant qui attire la compassion d’autrui avec son labrador et sa canne blanche, il est un personnage attachant et rebelle, détestable et sympathique.

Brigit Bontour

Anne Lorho, L’Aveuglé, Le Mercure de France, août 2022, 291 p.-, 21€

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