Topologie de l'amour. Emmanuel Arnaud. Rentrée Littéraire Septembre 2014.

Topologie de l'amour

D’Emmanuel Arnaud

A paraître le 11 septembre 2014 aux Editions Métailié.

15€ 138p





Les bons livres pansent les maux de l'âme. Les moins bons, cautères sur jambe de bois, ne supportent guère la lecture avertie. Le dernier opus d'Emmanuel Arnaud appartient probablement à la première catégorie. Dès lors, que soigne-t-il ?

Le premier soin est patent. Il se lit en quelques instants au dos de couverture de l'éditeur. A quoi bon être un génie précoce des mathématiques si, en pleine ascension universitaire, on se plante lamentablement dans sa vie sentimentale ?

En deuxième intention, un autre soin. L'axiome accepté, un des théorèmes en découle : inutile d'être un génie pour être heureux en sentiment. Mais là, on flirte avec le sophisme.

En trois, il est question de forme et de lien. Le personnage du roman, Thomas Arville, est persuadé, convaincu, imprimé par une certitude : la vie est réglée par les lois de la topologie, reine de la synthèse absolue de toutes les abstractions possibles. Dès le départ, l'erreur vitale est subsumée. Mais la passion doit aller au bout de sa logique, c'est sa nécessité interne. Et quand cette internité passe au dehors, inévitable, et s'y affronte, les déconvenues, les désagréments, les dérapages suivent leur pente naturelle vers l'inexorable tragédie.

On peut lire ce roman rapide, vif, lisse et incisif comme une critique indirecte, justement de l'amour parfait, trop parfait, de la topologie. Pour aller vite, la topologie est la discipline des liens des lieux. C'est donc beaucoup, c'est quasi infini. Elle semble faite pour y croire quand on y nage comme un vieux cétacé avec la jeunesse de sa toute puissance imaginaire donc réelle. Mais le réel est double, toujours double, au moins double, multiversel. Le drame de Thomas Arville (et la dramatique de l'ouvrage) consiste précisément en ceci que la topologie permet d'appréhender (et de croire comprendre, et saisir, et capter toutes les subtilités de cette science – lucidité provisoire depuis bien longtemps ) la totalité des événements d'une vie (au moins) et donc, de la sienne. Maître de son destin grâce à sa connaissance de la topologie, Thomas Arville est aveuglé, tel Oedipe ou Hamlet, et l'aveuglement, s'il comporte des éblouissements qui rassurent, s'il est adoubé par un dehors familial, amical et social, n'en demeure pas moins une perception tronquée du vital qui n'est qu'un fil tendu entre deux indéfinis, probablement non topologisables.

Même l'événement de Fukushima. Thomas Arville mobilisera ses neurones agiles pour adapter sa vie et celle de sa dulcinée nippone. Il croit y parvenir et y parvient. Le nouveau Candide est de retour. Aurait-il médité sur la polémique du tremblement de terre de Lisbonne de 1755, aurait-il parcouru Voltaire, Rousseau et Leibniz, qu'il aurait persisté, écologiste forcené, dans sa topologique régalienne.

Car le lien durable est assignation à un lieu. Ce n'est pas parce qu'on le sait que l'on est capable de le vivre. Les idiots et les crétins sont souvent très heureux, localisés aux liens indéfectibles de la bêtise. Soyons donc crétins ! Pas facile. Même le crétin se croit futé – c'est à ça qu'on peut le reconnaître. Ici, ben peut-être, le jeune génie précoce, le plus fort en maths que les meilleurs professeurs, souffre de cette limite très crétine : il n'y a pas de différence entre s'accrocher à une idée très simple et s'accrocher à un système de la plus haute complexité. Nul ne s'accroche sans accroc. Et l'on savourera l'épisode de l'anicroche de Thomas Arville avec l'autre Japonaise, anecdote paroxystique, qui, après s'être déplacée en toute topologique vers le harcèlement absolu, dénouera le lien de l'amour (le mariage) entrainant Thomas, entropologiquement, dans une simplicité retrouvée.

Du fond de cette piscine, il pensera remonter à la surface. On ne surfe pas impunément sur les abstractions, mais sur les vagues et contre les murs.

Topologie de l'amour est une belle démonstration topologique que l'amour échappe aux lieux et à leurs formes. Ce livre illustre aussi élégamment la théorie des catastrophes. De l'anneau de Moebius à René Thom, la conséquence est souvent bonne.

Didier Bazy

Emmanuel Arnaud est né en 1979. Il vit à Paris, il est l’auteur de romans pour la jeunesse et aux Éditions Métailié de Arthur et moi (2011), Le Théorème de Kropst (2012).



1 commentaire

Article bien écrit, mais la critique semble de si près suivre le roman qu'il faudrait sans doute lire le roman pour comprendre la critique...