LE PARIS DE MICHEL AUDIARD : PARI REUSSI

Titi & Gros Ciné. Le voyage que propose Philippe Lombard à travers Le Paris de Michel Audiard n’est pas seulement géographique. C’est aussi et d’abord, qu’on aime ou qu’on n’aime pas le scénariste-dialoguiste-réalisateur, un voyage à travers trois décennies de cinéma français.

Ses admirateurs l’admirent parce qu’il suffit d’entendre une réplique dans un film pour savoir qu’elle est de lui. Mais ses détracteurs le détestent précisément pour la même raison. Michel Audiard n’avait visiblement pas appris par cœur l’Art poétique de Boileau, lequel recommandait, après Horace, de faire parler chaque personnage dans le langage qui lui convenait. Certes, Gabin dans Le Président ne s’exprime pas tout à fait de la même manière que Gabin dans Le Pacha, mais il y a entre les deux un air de famille qu’on peut trouver gênant. Les « mots d’auteur » renvoient d’abord à leur auteur : bien sûr, on ne va pas confondre Audiard avec ses barbouzes ou ses tontons flingueurs, mais une certaine suspicion s’installe quand surgissent dans ses dialogues des propos à la limite (à la limite, vraiment ?) de l’homophobie ou du racisme. Sont-ils à mettre uniquement sur le compte des personnages qui les énoncent ?... Signalons en outre que l’esprit français d’Audiard a beaucoup de mal à passer certaines frontières : tapotez « Michel Audiard » sur amazon.co.uk, vous aurez une avalanche de titres, mais tous dans leur édition française originale. Allons ! pensez-vous qu’un sujet de Sa Gracieuse Majesté puisse trouver quelque intérêt que ce soit aux pantalonnades du Guignolo ou de L’Animal (même quand Raquel Welch vient prêter main forte à Belmondo) ? Il n’y a guère que Garde à vue qui, sauf erreur, ait vraiment retenu l’attention des Anglo-Saxons (les Américains en ont d’ailleurs fait un remake).

L’ouvrage de Philippe Lombard intitulé Le Paris de Michel Audiard constitue à sa manière un exploit, puisqu’il pourra satisfaire à la fois les admirateurs et les détracteurs de l’homme à la casquette. Lombard est en effet un audiardien convaincu ‒ il a précédemment publié, entre autres, un Univers des Tontons flingueurs ‒, mais c’est aussi un historien du cinéma honnête, érudit et scrupuleux, qui ne craint pas de citer Francis Veber quand celui-ci parle du « sourire crapulard » d’Audiard ou François Truffaut dénonçant dans Le cave se rebiffe de Gilles Grangier des dialogues témoignant d’un « triple mépris », à savoir celui « du cinéma, des personnages et du public en général ». Audiard a déclaré que, à la faveur d’un ressentiment commun à l’égard d’un même producteur, Truffaut et lui s’étaient par la suite découvert des affinités ; on a un peu de mal à le croire : qui peut imaginer Truffaut tournant un film intitulé Comment réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard ? Même Claude Chabrol, qu’on voit sur une photo assis à la même table qu’Audiard et tout souriant, ne se serait jamais permis ce genre de « provocation ».

Toutefois, la polémique s’estompe lorsqu’on comprend que l’ironie grinçante d’Audiard était probablement celle de tout misanthrope, autrement dit celle d’un homme qui ne s’aimait d’abord pas beaucoup lui-même ‒ ne serait-ce pas précisément dans ce masochisme qu’il convient de chercher ce qui lui valait la sympathie du public français ? Sans doute n’était-il pas mécontent de ce qu’il écrivait en tant que scénariste, mais il eût visiblement aimé s’imposer aussi comme écrivain à part entière, et il n’hésitait pas à dire qu’il trouvait injuste un système qui faisait que des gens comme lui étaient bien mieux rémunérés qu’un Modiano. N’y a-t-il pas quelque chose qui ressemble à la mise en abyme d’une frustration personnelle quand Audiard fait dire à Julien Guiomar dans L’incorrigible : « Ne serait-ce qu’à cause de ton vocabulaire, tu ne connaîtras jamais l’atroce volupté des grands chagrins d’amour. » Drame traditionnel de l’artiste : plus grave peut-être que l’échec, le succès fondé sur un malentendu.

Qu’on aime ou qu’on n’aime pas Audiard, Le Paris de Michel Audiard vaut de toute façon par la manière dont, à travers son corpus géographique, il évoque, comme le promet sans mentir son sous-titre (qui reprend une réplique empruntée aux Tontons flingueurs), « toute une époque », en gros celle des années cinquante, soixante et soixante-dix. Le Paris passé ici en revue est celui des fictions, mais c’est aussi celui de la réalité, des salles de cinéma, des restaurants, des commissariats, des hippodromes, des Champs-Élysées, des maisons closes, des journaux encore imprimés sur du papier… Et c’est aussi, à travers la variété des témoignages cités et la pertinence et la richesse des illustrations, toute une histoire du cinéma français qui se dessine. Bernard Blier, Jean Gabin, Michel Serrault, Annie Girardot, Lino Ventura, Francis Blanche… Il y a décidément beaucoup de fantômes dans ces pages, mais la mélancolie qui les accompagne vient nous convaincre que l’agressivité des personnages qu’Audiard leur faisait jouer n’était souvent qu’une agressivité de façade.

FAL

Philippe Lombard, Le Paris de Michel Audiard ‒ Toute une époque !, Parigramme, février 2017, 14,90€

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