Vigny par Sainte-Beuve, une "histoire" du romantisme

"Les écrivains romantiques ont brillé davantage par le culte de la poésie que par celui de l'amitié"

Michel Brix, maître de recherches à l'Université de Namur, se consacre à la littérature française du XIXe siècle. Après plusieurs éditions savantes des ouvrages de Sainte-Beuve, il nous propose un recueil de textes du grand critique consacré à l'une des plus grande figure de la littérature romantique, Alfred de Vigny

Les deux hommes, tous les deux poètes, se connaissent, et s'estiment. Du moins, on voit bien que Sainte-Beuve estime hautement l'oeuvre de Vigny quand ce dernier attend de cette amitié qu'elle ne tarisse pas d'éloges publics et publiés à son endroit. Mais Sainte-Beuve, s'il mêle toujours dans ses études l'analyse de l'oeuvre et sa connaissance de l'homme, s'estime libre et "sauvage" et sépare l'amitié de la critique. Forcément, l'altier Vigny en prend ombrage et réclame un traitement que jamais le critique ne lui accordera, ce qui mettra sinon un terme à leur amitié du moins la refroidira quelque peu...

"De Vigny adonise son style, et il idolâtre son œuvre. Il croit avoir renfermé dans son poème soi-disant philosophique, "La Sauvage", toute la quintessence de la philosophie de l'histoire et le produit net de la pensée politique de ce siècle et de tous les siècles. Il gonfle ainsi chacune de ses productions, et, à force de la contempler, il finit par y voir tout un monde." (Sainte-Beuve)

Pourtant Sainte-Beuve, au risque de déplaire à qui voudrait de la littérature populaire, n'a de cesse de défendre Vigny, de louer ses poèmes, mêmes s'il trouve un rien ridicule cette croyance dans la mission sacrée du poète. Certes, Hugo en fit de même, mais chez Vigny c'est tant enflé et bouffi d'orgueil qu'il s'arroge devant l'Histoire le rôle de guide de toute société... Quel grand poète mais quel convive insupportable !  

Cette rencontre entre le critique du siècle et l'une des grandes figures de la poésie montre les limites du romantisme et explique pourquoi ce si grand mouvement littéraire a été contrecarré dans son déploiement naturel, par le fait de personnages trop infatués d'eux-mêmes, ce qui est contradictoire avec l'esprit même du romantisme. La belle introduction de Michel Brix est en tout point éclairante.


Loïc Di Stefano

Charles-Augustin Sainte-Beuve, Vigny, textes recueillis et annotés par Michel Brix, Kimé, janvier 2013, 168 pages, 20 euros

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