les Conquérants d'un nouveau monde, Essai sur le cinéma hollywoodien

Il existe deux Michel Ciment.

L’un est brillant historien du cinéma qui connait le 7e art sur le bout des ongles et a rencontré la plupart des grands noms de cette industrie. L’autre est un analyste qui théorise à tour de bras et de pages, au risque de se perdre en arguties, circonvolutions et magma culturel.

Ces deux Ciment se retrouvent au cœur de cet imposant livre (600 pages) qui reprend des articles du maître parus dans différentes revues (la principale étant Positif) depuis les années 60. Ces deux Ciment se sont répartis la tâche : 1/3 pour l’un, 2/3 pour l’autre. Personnellement, j’aurais préféré l’inverse, tant il est vrai que mon aversion pour les analyses va galopante. Non qu’elles soient fumeuses ou mal étayées mais elles ne m’intéressent tout simplement pas. Quand mes maigres facultés intellectuelles les comprennent…

Or donc, Michel Ciment réunit ses écrits sur le cinéma américain (édition revue et augmentée, précise la couverture). On est en droit de se demander ce que Il était une fois dans l’Ouest vient faire au milieu de cette somme mais on est prié de ne pas poser de question. Ils sont venus ils sont tous là et non des moindres : Erich von Stoheim, Josef von Sternberg, Billy Wilder, Howard Hawks, Orson Welles, Elia Kazan (et Marlon Brando), Terrence Malick, Cecil B. De Mille, Leo Mc Carey, William Wyler, Richard Fleischer, Irvin Kershner, Robert Mulligan… Plus un important chapitre sur le western. Plus le producteur Dore Schary. Plus Hollywood et les films sur Hollywood, plus Hollywood et le nazisme… Ne manquent que Hollywood à la plage, Hollywood fait du ski et Hollywood contre Godzilla. Non, je plaisante. Je ne devrais pas. Parce que tous ces textes sont passionnants. Au moins pour un tiers.

Car quand Ciment raconte le parcours de tous ces messieurs (pas de dame ?), quand il se penche sur les faits historiques, quand il resitue chaque action dans son contexte, il maitrise vraiment son sujet. Impressionnant et efficace. On croit les connaitre (un peu), ces grands du cinéma et on apprend plein de choses. Cet aspect biographique et narratif constitue la force de l’ouvrage. Voire son intérêt majeur. Pour le reste, les analyses, je reste plus circonspect pour les raisons évoquées ci-dessus. Car le livre est ainsi constitué : présentation de l’auteur-réalisateur suivi de l’analyse de certaines de ses œuvres.

Je me permettrai de reprocher à M. Ciment de tenir trop grand cas de la critique internationale. Comme si, pour lui, un auteur ne pouvait être reconnu comme tel qu’à condition que tous les plumitifs soient d’accord. D’où des paragraphes entiers pullulant de citations de «confrères » (espérant peut-être que ceux-ci lui rendent la pareille dans leurs propres ouvrages ?). Ça ne me parait pas utile. Michel Ciment n’a pas besoin de se réfugier derrière les autres. Quand on connait ses sujets comme il les connait, cela suffit amplement. Son point de vue est suffisamment éclairant pour ne pas avoir recours à d’autres « lumières ».

De la sorte ces Conquérants d’un nouveau monde (titre français du film Unconquered que Cecil B. De Mille tourna en 1946) est un outil indispensable pour qui veut connaitre les pionniers du cinéma américain. Une mine de renseignements, avec, au passage le rétablissement de quelques vérités (Orson Welles a-t-il participé à l’écriture de Citizen Kane ?). Les rapports entre Hollywood et le nazisme mériteraient un plus large développement, de même tout ce qui concerne le maccarthysme.

Et puis quelqu’un qui qualifie le grandissime Henry Chapier de « tricératops de la critique » (p 130) ne peut qu’avoir mon assentiment. Dont acte.


Philippe Durant


Michel Ciment, les Conquérants d'un nouveau monde, Essai sur le cinéma hollywoodien, préface d’Emmanuel Carrère, Gallimard, "Folio essais", 634 pages, avril 2015, 9 eur

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