André Du Bouchet et la poésie en mouvement

Il en est de certains auteurs qui ne laissent jamais indifférent, qui porte aux commentaires exaltés et subissent alors les positions les plus marquées : on adore ou on abhorre la poésie d’André Du Bouchet ; pas de juste milieu, d’en même temps ni de demi-mesure. Sans doute le sceau d’un signalement invisible qui rappelle combien l’écriture est multiple, la langue foisonnante et la poésie fille de l’air et donc, aussi, de l’espace. Car les détracteurs s’arrêtent presque tous à cette forme elliptique d’une narration trouée, pauvres conformistes qui sont totalement perdus dès que le vers n’est plus narratif, alors pensez donc, avec des respirations, des blancs, des sauts de ligne, quelle calamité ! 
Or, ces fats ne ressentent pas l’atmosphère unique, la musique précise, le mot-image que Du Bouchet dessine dans son poème. C’est presque une autre manière de concevoir la calligraphie dans la veine de Michaux, on fait avec des mots, des signes, un panorama d’une émotion, un instantané d’un tremblement, une gravure d’un souffle passé…

André Du Bouchet avait une provision de carnets, il ne sortait jamais sans l’un d’eux, et au fil de ses promenades, notait, un mot, une vision, un détail, une phrase parfois, et de cet ensemble hétéroclite reconstruisait dans le silence de son bureau une cascade de sons posés sur la feuille pour essayer de recouvrer au plus juste la pulsion de vie ressentie lors de cette rencontre. Rien d’étonnant qu’il se rapprocha d’artistes comme Giacometti ou encore de Tal Coat, qui cherchait dans sa peinture à s’approcher au plus près de l’indicible, cet invisible pictural qu’il faut bien oser montrer, ne serait-ce que d’un seul coup de pinceau, un peu à la manière de ces peintres asiatiques qui méditent leur œuvre des mois pour ne donner qu’un seul coup de calame sur le papier, un seul élan pour traduire toute l’intensité. 

 

                                    l’expression étrange 

de la simplicité 

                                    elle n’est jamais simple 

 

avant qu’on ne s’y soit absolument familiarisé –  

qu’on soit corps et âme passé dedans 

 

Mais l’on n’arrive pas à ce degré de simplicité, à cette densité narrative à la physique si légère sans un minimum de réflexion. La recherche d’une écriture aussi proche que possible d’une expérience antéprédicative s’est donc faite par le chemin de la méditation. Au cours des années 1950, André Du Bouchet s’impose une rigueur logique et syntaxique, il élabore un projet littéraire. Par le jeu de la traduction, il se laisse imbiber dans les mondes de Shakespeare et Joyce et tente par la suite de s’approprier cette terre sur laquelle il aime à se perdre dans de longues promenades. Il faut lui donner une figure, sélectionner ce qui se détache, aller à l’essentiel…  

Œuvre difficile, certes, mais où serait le plaisir s’il suffisait de cliquer avec son pouce ? La grande musique aussi peut sembler difficile alors qu’elle n’est que magnificence et rayonnement d’harmonies. Lire André Du Bouchet n’est en rien compliqué, il suffit de se laisser transporter, d’être candide en son approche, suivre le parcours, prendre son temps – ce que l’on ne sait plus faire de nos jours – et jouir de tous ses sens ainsi réveillés par la magie de cette poésie-là !  
Pour les curieux, les grincheux, les hésitants, Michel Collot s’efforce d’éclairer les zones d’ombre en aidant à pénétrer cette magnifique obscurité si indispensable à la poésie. Loin des commentaires abscons, voici une monographie indispensable à laquelle viennent s’agréger des documents inédits.

 

François Xavier 

 

Michel Collot, André Du Bouchet – Une écriture en marche, 30 illustrations couleur, L’Atelier contemporain, mars 2021, 240 p.-, 25 € 

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