"L’Art-Chimie", une enquête de Philippe Walter dans le laboratoire des artistes

 Il y a deux manières d’aborder une œuvre d’art, notamment la peinture : se figer face au tableau et perdre pieds, offrir à son âme un voyage inédit et laisser faire le miracle des émotions. Lesquelles, comme nous l’a si bien démontré Jean-Didier Vincent, ne sont que réactions chimiques. J’aime, j’abhorre, je désire, je jouis, tout cela n’est que le résultat de manifestations chimiques qui se produisent dans notre cerveau. Mais qu’en est-il de la toile, des pigments, de la genèse d’une œuvre ? Autant de questions essentielles qui nous conduisent à autant de petites histoires pour pénétrer les arcanes de l’Histoire de l’Art, des pharaons jusqu’à Picasso pris les doigts dans le pot de confiture, le coquin fut démasqué, nous en reparlerons plus tard…

 

Ainsi donc, la science et l’art peuvent faire bon ménage, surtout quand elle est pratiquée et expliquée par Philippe Walter, chimiste, normalien et chercheur au CNRS. Avec lui, et pour une fois, la science n’a rien d’hermétique, quand il s’exprime je retrouve un peu la magie de Pierre-Gilles de Gennes, feu notre distingué Prix Nobel qui nous rendait plus intelligent dès qu’il ouvrait la bouche. Il avait le don si particulier de rendre accessible les plus extraordinaires équations, réactions, chaînes moléculaires et sa démonstration devenait claire comme de l'eau de roche, alors qu’il nous emmenait dans des univers démentiels qui, une fois la TV éteinte, nous échappaient, nous rendant nostalgiques de ces interventions lumineuses où la physique semblait être aussi simple qu’un pas de deux…

 

Philippe Walter est tout aussi délicat et didactique quand il écrit et nous entraîne à découvrir comment, sans la Chimie, l’Art n’aurait pu exister. Des premiers pas sur les parois d’une caverne aux peintures sur un tableau de bois, de toile, un mur de pierre, les créateurs ont voulu à tout prix pouvoir transcrire leur vision. Pour cela ils avaient l’impérieuse nécessité de trouver un matériau qui s’adapte à leurs desseins et résiste à l’usure du temps !

 

Précurseur du Centre actuel de recherche et de restauration des musées de France, Philippe Walter a étudié depuis vingt-cinq ans – et constaté – combien les avancées technologiques ont bouleversé le dialogue entre la science et l’art. De nouveaux jouets sont venus aider les scientifiques ; laser, accélérateur de particules, spectromètre de masse, autant de possibilités de remonter le temps, et donc de comprendre ce qui s’est passé. Un seul pigment particulier repéré sur les peintures d’une grotte préhistorique et c’est toute l’histoire de nos ancêtres qui peut se dérouler d’une toute autre manière sous nos yeux… De la composition des fards recueillis dans les tombeaux de l’Égypte ancienne (qui ouvre le débat sur la pharmacopée antique) aux huiles des frères van Eyck, voire aux fameux jaunes de Van Gogh, rien n’échappe à l’œil inquisiteur du chercheur.

 

Ce livre montre bien des exemples de ce que la science peut révéler à propos d’une œuvre, et ira même jusqu’à intéresser les scientifiques qui y verront comment leurs disciplines trouvent des développements concrets dans l’art en leur proposant une nouvelle grille de lecture des œuvres. Conçu avec François Cardinali suite à une série d’entretiens, il se construit en sept parties dont celles de Léonard de Vinci et des copistes, et autres faussaires, sont des plus passionnantes…

 

Le mystère de la fameuse Joconde est ici détaillé : le fameux miracle du sfumato, l’incroyable épaisseur des couches de peinture plus fines qu’un cheveu : cinquante millièmes de millimètre et d’autres surprises que l’on vous laisse découvrir… Mais tout débute par cette maniaquerie française toute jacobine qui veut que seuls deux restaurateurs soient autorisés à manipuler le fameux tableau. Walter, qui l’a ausculté par deux fois avec ses fameuses machines à rayon X, fut donc sur le grill !

 

Comme aurait pu l’être Picasso si la technologie l’avait rattrapé car l’on sait désormais que lors de son passage, en 1945, au musée d’Antibes, alors que Dor de la Souchère lui avait ouvert ses portes et fourni un atelier (tout comme il le fera plus tard pour Kijno), il s’est permis quelques libertés. L’analyse du Gobeur d’oursin (1946) fait apparaître, non pas des repentirs, mais… le portrait d’un officier en uniforme : le général Vandenberg, héros de la Grande Guerre et fondateur de la Société des amis du musée d’Antibes (sic). Une œuvre considérée comme disparue et que la radiographie a donc révélée. Peignant souvent la nuit, Picasso s’est trouvé à court de support : il est allé se servir dans les réserves. Mais sa frénésie créative pouvait aussi le pousser à emprunter de la peinture aux pêcheurs car les études chimiques ont montré également que les pigments provenaient… de la marque Ripolin, une peinture pour bateaux.

 

Un très beau livre richement illustré qui vous guidera du Paléolithique jusqu’à nos années 2000 en vous embarquant dans l’extraordinaire aventure de la découvertes des trésors artistiques par le biais de la Science. Le mariage Art-Science pour tous !


François Xavier

 

Philippe Walter & François Cardinali, L’Art-Chimie – Enquête dans le laboratoire des artistes, 220 x 280, une centaine d’illustrations, Fondation de la Maison de la Chimie / Michel de Maule, mai 2013, 176 p. – 45,00 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.