Wilhelm Dinesen, Paris sous la Commune : L’histoire n’a jamais fini d’être écrite

La Commune de 1871 est un épisode majeur dans l’histoire, non seulement de la France, mais aussi de l’idéologie française de la gauche. Les nombreux ouvrages sur le sujet en ont, presque unanimement, imposé une image généralement consacrée, donc sacrée : celle d’un conflit entre le peuple de Paris et une frange réactionnaire de la bourgeoisie réfugiée à Versailles. Il n’y aurait pas lieu de réexaminer cette interprétation, souvent simplifiée à l’extrême, donc infidèle aux faits, n’était la parution d’un témoignage de première main, celui d’un officier danois, combattant dans l’armée française, qui se trouva à Paris pendant ces événements : William Dinesen.

 

L’exceptionnelle richesse de ce témoignage, qu’on dira donc de première main, permet de combler les lacunes et de rectifier les excès de simplification d’un Prosper Lissagaray, d’un Élie Reclus et bien sûr d’un Karl Marx.

 

Le point de départ du chapitre sanglant et confus que fut la Commune est précisé dès le départ. Napoléon III ayant été fait prisonnier des Allemands à Sedan le 2 septembre 1870, deux jours plus tard, l’Assemblée nationale décrétait la déchéance du gouvernement impérial et proclamait la République. Dinesen observe une singularité : le pays n’a pas été consulté. Présentée comme un drame national, la Commune a été en fait une tragédie parisienne, un coup d’État effectué par 195 députés.

 

Ces députés constituent un ensemble disparate : il y a parmi eux des Rouges, des radicaux, des modérés, voire des orléanistes. Ils ne peuvent arrêter de politique commune. Le général Trochu, ministre de la Guerre, dira que leur gouvernement n’a aucun pouvoir. Et les Allemands encerclent Paris. On se bat partout autour de la capitale, à Choisy-le-Roi, à Bagneux, à Rueil… Mais le cercle de fer se resserre. La disette menace. Les radicaux décident alors de « jeter le gouvernement par la fenêtre ». La Commune est née.

 

Ses partisans composent une foule rebelle : ils ne veulent même plus écouter les membres du gouvernement, Jules Simon, Rochefort, Trochu… Ils vont en constituer un autre. Ils vont aussi multiplier les initiatives délirantes, comme d’abolir la hiérarchie militaire et de revenir au calendrier révolutionnaire. Ils proposeront même de payer aux Allemands les cinq milliards que celui-ci demande en dommages de guerre ; avec quel argent ? Le chaos s’est installé, mais fait grave, il désorganise aussi les esprits. Ni la Ligne, nom du parti de l’Assemblée nationale, légalement élue, communément désignée comme les Versaillais, ni les Fédérés de la Commune n’en sortiront indemnes. La férocité sanguinaire des deux camps, Versaillais et Fédérés, témoigne de la folie qui s’était emparée des Parisiens. La Commission d’enquête qui fut ensuite constituée ne parvint pas à dénombrer les victimes ; elles n’étaient pas mortes dans les combats, non, c’étaient pour la plupart des gens qu’on arrêtait et qu’on fusillait par haine. Ils étaient des ennemis ; le chiffre en est monté à 40 000. Ce n’avait pas été une révolution, mais une guerre civile. Personne ne savait ce qu’il défendait sinon le droit de tuer l’adversaire.

 

Mais l’histoire n’a jamais fini d’être écrite.

 

Gerald Messadié

 

Wilhelm Dinesen, Paris sous la Commune, Traduit du danois par Denise Bernard-Folliot, Michel de Maule, 2004, 400 p., 22 €

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3 commentaires

Comme pour les bouquins de  Paxton, le regard neutre d'un étranger sur nos drames nationaux est  souvent décapant... et dérangeant pour nombre d'historiens "officiels" habitués à une certaine présentation politiquement correcte et manichéenne (donc forcément fausse) du monde. La Commune de paris, fantasmée et idéalisée comme 1789,  devenue mythe fondateur d'idéologies révolutionnaires, est l'évènement historique idéal pour un nouvel éclairage sans préjugés.
 Ce bouquin est donc bienvenu . Il peut servir à démasquer la réécriture orientée et malhonnête de l'Histoire, sport national  de l'intelligentia en France, et qui a connu son apogée à trois reprises  après 1789, puis 1870, et après 1945.
Cela m'étonnerait bien que les pétroleurs habituels du site ne vous tombent pas dessus, cher Monsieur Messadié, juste pour avoit osé chroniquer un livre aussi iconoclaste...

vous avez raison, certains historiens pensent pouvoir s'attribuer notre Histoire et la plier à leur doctrine. Un regard extérieur est salutaire. Il en est de même pour les grandes biographies, certains américains ont osé bousculer Flaubert par exemple, et ça a donné de très beaux résultats.

biggg

Voir sur cette triste période funeste aux Tuileries et à deux Bibliothèques le Journal d'un Officier d'Ordonnance, de Maurice de Hérisson, qui rend compte avec modération du chaos Parisien.

Elie Reclus pour Elysée Reclus?

Bien à vous.

                           MC