La Divine cuisine

Une écriture qui s’envole, rapide, des indications de grammes, des proportions, des œufs et le four, les condiments de la réussite sont là, le tout rédigé en italien. Maria Callas a consigné sur un carnet quadrillé la recette d’un « sufle di cioccolato » que, sans doute, elle a fidèlement suivie pour préparer ce délicat dessert à l’intention de Giovanni Battista Meneghini. Une photo montre d’ailleurs la célèbre cantatrice tendre la main pour faire goûter quelque chose à son mari, assis en face d’elle dans le train en direction de Vienne.
Dans une lettre datée du 25 mai 1949, elle lui écrit : « Quoi que je fais, pense, vois ou mange, je me dis toujours : « Battista aime, Battista aimerait. Battista penserait comme ça, etc… ».

Ce livre illustré de somptueuses photographies en noir et blanc, souvent inédites ou peu connues, est un double voyage. A travers le monde d’abord, dès lors que le lecteur suit Maria Callas dans ses périples internationaux, de Venise à Paris, de New-York à Mexico. Un tourbillon de renommée et de musique, alors qu’elle triomphe sur les plus prestigieuses scènes lyriques. « Certains disent que j’ai une voix magnifique, d’autres disent le contraire. C’est une question d’opinion. Tout ce que je peux dire est que ceux qui ne l’aiment pas n’ont qu’à ne pas m’écouter ».
Une voix inoubliable, en tous cas,

 

Dans les coulisses de la plus fine et la plus audacieuse des cuisines ensuite, quand les menus se succèdent, presque vertigineusement : coquilles Saint-Jacques flambées, filets de sole à l’impériale, friture d’huîtres, omelette aux artichauts, crostini aux foies de poulet, entrecôtes aux anchois, timbale de pommes de terre à la douanière. La Callas apparaît telle qu’en elle-même préparer un repas devait la dévoiler, simple et attentionnée, en tablier, devant des casseroles, dégustant et savourant, loin de  la diva immense et fière que le talent absolu, le travail incessant, le bonheur comme l’épreuve ont façonnée et que la planète a saluée. La voici sortant de chez Maxim’s, dans la piscine du Christina, au Lido, avec Marilyn Monroe, devisant avec Luchino Visconti ou Pier Paolo Pasolini, souriante, assurée, conquérante, troublante.
On dirait que sa présence constitue une sorte d’apparition donnant relief et saveur à l’instant même de la vie, un peu comme ces pincées de piments jetées discrètement dans les mets qui sont présentés au fil des pages et que chacun, en pensant à celle qui les a inspirés ou apprêtés, peut composer à loisir.

Dans un long texte à la fois précis et sensible qui introduit les quelques cent dix recettes réunies dans cet ouvrage, Bruno Tosi, proche ami de la chanteuse « légendaire et tragique », relate une série d’anecdotes, des souvenirs et des faits aussi touchants que fascinants, prouvant à nouveau que celle qui avait inscrit à son répertoire Wagner, Verdi, Rossini, Bellini, mais aussi Gounod, Beethoven et Massenet, interprétant avec une égale aisance les personnages les plus extraordinaires et leur assurant une présence nouvelle face au public, était une femme à la fois fastueuse et passionnée de cuisine et une parfaite maîtresse de maison. Au cours de la période de son existence partagée avec Aristote Onassis, ses invités pouvaient naturellement déguster des plats grecs, les plus finement élaborés possible.
« Pour en garantir la fraîcheur et le goût, ils en faisaient venir les ingrédients par avion privé, ce qui n’était pas toujours commode, mais les convives exigeants étaient contents ». 

 

Une occasion de découvrir que Maria Callas ajoutait aux autres la passion du bien manger et une invitation à s’approcher de la table de celle qui disait : « Je ne fais pas confiance à la gloire ».

 

 

 

 

Dominique Vergnon

 

Bruno Tosi, Maria Callas, la divine en cuisine, 93 illustrations, 225 x 280, éditions Michel de Maule, octobre 2017, 208 p.- 34,50 euros.

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