Kiril Kadiiski : "L'espoir est la douleur de demain"

Kiril Kadiiski est né en 1947 en Bulgarie. Poète, essayiste, traducteur, il se situe en marge des critères officiels de littérature sous le régime socialiste. Il est l'un des fondateurs du samizdat bulgare et le premier éditeur privé en son pays. Il a traduit des poètes français et russes dont Villon, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rimbaud, Apollinaire, Cendrars, Tutchev, Bounine, Block, Volochine, Pasternak.

Il est devenu un des poètes bulgares les plus traduits en Europe et notamment en France où il fut directeur de l’Institut culturel bulgare à Paris. Certains de ses recueils ont déjà été traduits en français dont Lamentations (Fata Morgana, 2001).

L'auteur se laisse aller au pur plaisir mais aussi à la puissance d’un corpus qui ne répond pas à la simple curiosité du visible, du lisible mais au désir de voir ce qui est absence, manque, ombre. Prisonnier du temps où il est condamné à vivre il s'efforce de sauvegarder les secrets de l'être et de la création.
Il se livre ici en près de 600 pages au sein d'une sorte d'enquête sous forme d'entretien avec l'éditeur Svetlovar Jekov. Certes il affirme que tout ce qu'il avait à dire il l'avait déjà écrit dans sa poésie. Néanmoins ce long entretien précise bien des points de sa vie et de sa quête.

Il rappelle entre autres le rôle des femmes, du sexe, de l'amour dans son inspiration de même que sa foi. Sa pensée s'est progressivement éloignée du monde, de la politique et de ses contingences dans laquelle la poésie bulgare s'est perdue jusqu'à la réduire, dit-il,  à une salle d'anatomie pathologique que gardent toutes espèces de monstres dans le formol.

Les reniant Kadiiski s'est laissé porté vers des concerts célestes afin de comprendre qui il était en s'éloignant de tous ceux qui bavent ou louvoient sur l'art et le littérature. Se dégageant des impératifs idéologiques l'auteur est resté un critique acerbe face à un état dont il redoute encore qu'il ne soit vraiment digne de ce nom.
Quittant les éditions officielles il a toujours revendiqué une liberté pour la création et s'est battu pour elle. Il demeure encore sur la brèche et ce à travers ses divers chapeaux et rôles officiels. Par ailleurs il se place en porte à faux entre les postulations des deux plus grandes littératures selon lui : la française et la russe. La première croit à la chose, la seconde au néant. Et il se situe au centre de cette confrontation majeure.

Fidèle à l'abnégation du créateur, il continue sa route en mettant à mal les arcanes d'un pouvoir corrompu qui sous la bannière de la démocratie pratiquait le crime organisé. Et s'il estime que le progrès en littérature est illusoire cela n'empêche pas d'entreprendre des aventures poétiques toujours nouvelles là où l'espoir est la douleur de demain.
Mais qu'importe. Sans illusion, il convient de descendre l'esprit de la croix afin que l'espoir demeure : L'âme doit s'évertuer à s'accrocher à ce brin de paille.


Jean-Paul Gavard-Perret


Svetlozar Jekov, La quête littéraire de Kiril Kadiiski, traduit du bulgare par Ivan Balatov, Michel de Maule, novembre 2020, 597 p.-, 25 euros

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