La cruauté vient aussi de l’intérieur

Grâce à la musique, la peinture et la relecture des grands textes en commençant par Sophocle, depuis une trentaine d’années, Jacqueline Dauxois tente de s’échapper tout au moins d’oublier un peu un environnement qui lui aura été si souvent adverse. Jusqu’au Covid-19.
Encore récemment, alors que la vie est confinée par décision administrative et que sortir une heure dans son quartier aurait dû constituer un heureux moment d’évasion, un stupide accident de voiture l’envoie pour des mois dans les hôpitaux où ses douleurs se renouvellent. Au volant, c’était une jeune femme, gentille et bien élevée. Mais elle regardait son téléphone. Le pire lui arrivait, l’enfer sur un visage innocent !

Alors, elle s’offre un autre moyen de sortir de la prison imposée, l’écriture. Dans ses malheurs, Jacqueline Dauxois a de la chance, le destin l’a dotée d’une pensée aussi agile que d’une main droite habile. Elle a écrit plus d’une quarantaine de livres, certains d’histoires, beaucoup salués par la critique et notamment par Vladimir Volkoff, devenu un ami proche avec lequel elle a composé de passionnants entretiens.

Ici, elle brode avec des mots qui ont à la fois la précision et la vitesse de l’aiguille d’acier qui lui sert de stylo, ce qui lui permet de coudre ensemble des tableaux qui forment un véritable patchwork. Les fils ont des nuances multiples, les scènes ont un tissage coloré, mais les bordures ont les duretés aveugles de l’existence, le froid et la tristesse qui s’insinuent au cœur même des heures, des banlieues désertes, un quai de gare vide alors qu’on attendait l’amour, la noyade en Italie, le sang dans les couloirs de l’Escorial. Pour dénominatrice commune, si on peut oser telle expression – mais elle convient au style imagé et vif de Jacqueline Dauxois –, la mort.
Le lecteur est, texte après texte, conduit à se poser des questions. Larry, Louise, Jidi, Laia, sont-ils des héros qui tentent de rassembler les pièces du puzzle de la vie ou des victimes du hasard qui dispersent le jeu de dés que sont leurs jours. Au total, une quinzaine de nouvelles courtes, serrées, aux fins bien bouclées, avec la touche de fantastique qui sied à ce genre littéraire, ce qui fait qu’elle invente vrai

L’auteure de ce livre le sait aussi bien que quiconque, elle en l’expérience, le monde est cruel, certes, mais chacun de nous est à lui seul le monde. Pour l’autre évidemment, si souvent cible de nos flèches, pour nous-mêmes aussi, bourreau de soi consentant ou tortionnaire involontaire. Le paradoxe est éternel. Jacqueline Dauxois se méfie de la souffrance, elle peut devenir un baume note-t-elle. Sans doute est-ce pour cela qu’elle lui pardonne.

Dominique Vergnon

Jacqueline Dauxois, Nouvelles d’un monde cruel, Michel de Maule, mai 2022, 190 p.-, 20€

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