Giacomo Casanova, l’écrivain séducteur

Casanova apprend le français à Rome d’abord puis à Paris. Le « vénitien francophone » rédige pour ainsi dire naturellement en français Histoire de ma vie, alors qu’il occupe les fonctions de bibliothécaire au château de Dux, une petite ville située dans l’actuelle République Tchèque, maintenant connue sous le nom de Duchcov. Casanova, en tête du manuscrit, mentionne Dux en Bohême. Il meurt dans le château le 4 juin 1798. Non sans à-propos et comme pour justifier son incroyable « destin d’aventurier et de séducteur », il commence son texte par rappeler son ascendance, pour le moins originale, puisqu’elle compte entre autres un ancêtre espagnol qui enlève une religieuse et se réfugie avec elle à Rome, un voyageur qui accompagne Christophe Colomb, un poète, un acteur, un danseur. Ne tire-t-il pas de cette diversité la multiplicité ou plutôt la duplicité de son caractère ? Des vœux de prêtrise qu’il oublie, un temps militaire, vite enclin à des frasques de plus en plus libertines, se livrant à des excentricités dans tous les domaines au rang desquelles des escroqueries, Casanova dérive. Il se bat en duel, il est jeté en prison dans les terribles Piombi dont il s’évade spectaculairement par le toit. Joueur impénitent, il tombe malade, se rétablit, il connaît tout ce qui compte dans l’Europe d’alors, de Voltaire à Benjamin Franklin. D’autres faits encore dessinent les reliefs accusés et les contours plus flous de ce personnage incroyable. On reste ici en-deçà de la réalité, sachant que tant reste à dire. Une vie en somme passée à en construire une seconde et à en être le double fugitif !

 

D’une culture à rendre envieux les mieux lettrés, Casanova dans ce manuscrit déroule d’une écriture fine et bien lisible, raturée souvent prouvant ainsi son désir de traduire au plus près sa pensée, son existence comme un auteur écrirait en se regardant lui-même dans des jeux de miroirs biseautés son plus extraordinaire roman. Entre vérité et ambiguïté, juste audace et méprisante insolence, le personnage séduit et dérange, il est le maître qui compose et signe cette pièce de théâtre sans équivalent dont il est l’unique régisseur et le seul acteur. Il avance masqué à lui-même, il offre à la postérité l’image troublante d’un homme qui inspirera des films magnifiques.

 

En douze chapitres, qui sont comme autant d’entrées dans les méandres de ce parcours hors de toutes normes, l’auteur qui est professeur de littérature française et n’ignore rien du siècle des Lumières, chemine de concert et vogue de conserve avec Casanova « le charlatan…qui a écrit sa vie sous le signe de Vénus ». Il invite son lecteur à entreprendre une navigation de haute mer entre des écueils périlleux et attirants, il lui ouvre une voie pour suivre cette aventure qui écarte les préjugés et les convictions. Paris, Venise, les amours et les secrets, la transgression et le couvent, des balises culturelles pour le lecteur, ces pages sont agrémentées d’une suite d’illustrations qui méritent toutes un regard attentif parce qu’elles s’appliquent parfaitement au texte et l’éclairent avantageusement. Tableaux de Canaletto, de Tiepolo, de Guardi, extraits de correspondances, portraits, gravures et dessins, sont au fil de ce livre des témoignages visuels qui auraient pu aussi bien escorter à l’époque les quelques 3700 feuillets, écrits sur une période de neuf années environ, qui comme l’on sait ont été acquis, par chance et par bonheur, par la BnF.

 

Dominique Vergnon

 

Michel Delon, Album Casanova, Gallimard, Collection Albums de la Pléiade (n° 54), 224 pages, 174 illustrations, 17,5x11 cm, mai 2105 (offert pour l'achat de trois volumes de la collection).

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