Le baroque flamand, Rubens, Jordaens, Van Dyck et les autres

La peinture baroque flamande, les autres peintres autour de Rubens, Van Dyck et Jordaens

Opulente cité logée au fond de l’estuaire de l’Escaut, commerçant avec l’Europe entière, Anvers n’exporte pas, en ce XVIIe siècle où la Contre Réforme s’épanouit, que des marchandises. Comme celui des denrées, le négoce des objets précieux et des œuvres d’art, surtout des peintures, est florissant. La demande étrangère, notamment anglaise et française, est en effet importante. Les artistes locaux trouvent de ce fait des débouchés pour leur production ailleurs que sur la place. Les réseaux fonctionnent et les collectionneurs parisiens qui demandent des « choses curieuses » deviennent des clients à privilégier. A lui seul, un marchand établi à Anvers, Willem Forchondt, a livré sur des marchés extérieurs « quatre cents dix tableaux et dessins par an sur une période de vingt sept ans ». Les ateliers s’activent, surtout ceux des maîtres, comme Pierre Paul Rubens (1577-1640), le plus fameux de tous. A côté de son nom, deux autres s’imposent également, ceux de Jacques Jordaens, né à Anvers en 1593 et d’Antoine Van Dyck, né aussi à Anvers en 1599. Ils sont si souvent associés que lorsqu’on pense au baroque flamand, c’est à ce trio que l’on fait référence. Des liens étroits les unissent, même si chacun a développé un style propre et abordé des thèmes différents, que ce soit dans la  peinture religieuse ou le portrait. Ils dominent au point que les autres artistes sont éclipsés par leurs talents et leur notoriété.


Pourtant, que de magnifiques œuvres sont produites par ceux que cette exposition appelle « les autres ». Effectivement, parmi eux, certains peintres n’ont pas connu la gloire car leur carrière ne le justifiait sans doute pas. Oubliés, ils sont néanmoins remis à l’honneur pour un temps grâce à la présentation d’œuvres comme Le Départ pour le marché de Lucas van Uden, la Joyeuse réunion de Nicolaes van Veerendael, une des « Singeries » auxquelles cet artiste anversois s’adonnait avec plaisir, La Cour de la ferme de Jan Siberechts, qui s’applique à évoquer un instant du labeur paysan. D’autres peintres acquirent quelque célébrité et pourtant leurs noms attirent moins et demeurent en marge de l’intérêt du public. Ils méritent de revenir à sa mémoire. Les kermesses ont inspiré à Gillis van Tilborch, anversois comme les précédents, une Fête villageoise animée, colorée, vivante fresque au long de laquelle s’égayent les familles et se dévoilent les appétits de toutes sortes. Si la nature morte et les scènes animalières constituent des domaines où les Flamands excellent, comme le prouvent les tableaux de Jan Fyt et d’Adriaen van Utrecht, le paysage n’est pas pour autant chez eux un sujet mineur, bien au contraire. Bruxellois, artiste à « la touche très libre et généreuse », Lodewijk de Vadder s’affirme dans des compositions contrastées où un ciel ample et souverain accuse d’autant les mouvements des reliefs sablonneux en lisière de la mer du Nord. De même, paysagiste accompli, cherchant à équilibrer de façon  classique ses vues forestières, Jacques d’Arthois se révèle un poète des sites et des saisons. Né Breda ou à Anvers, éblouissant auteur de marines, recevant entre autres des commandes de la part d’illustres hommes d’église, Paul Brill s’inscrit au premier rang des grands concepteurs de paysages. Il est de loin le plus connu de ces autres peintres et un hommage lui est rendu à travers cette somptueuse vue d’un port, à la fois d’une rare délicatesse et d’une force dans la construction qui lui donnent son ampleur presque onirique. Autour d’un haut navire au premier plan à droite s’affairent marins et dockers. Le navire fait-il escale, est-il en partance ? Le mystère est entier, comme imaginée l’est cette baie profonde que protège des tours et des rocs. Une lumière douce et longue arrive de l’horizon, entretenant sous le ciel agité un savant jeu d’ombres et de clartés.

Un cortège non moins riche d’artistes se déploie encore, mettant en avant des noms et des tableaux méconnus, autant de découvertes précieuses participant à cette florissante production qui prit en masse le chemin des demeures des amateurs vivant hors des territoires des « anciens Pays-Bas », c’est à dire provenant des Pays-Bas du sud, (Flandres et Brabant) et des Provinces-Unies. Sans les citer tous, retenons les anversois Cornelis Schut, Frans de Momper, Peeter Snijers, le liégeois Bertholet Flémal, le franc-maître bruxellois Théodore van Heil. Enfin les noms de Teniers et de Brueghel, qui ne peuvent manquer d’être présent dans cette galerie. On admire la finesse de la Guirlande de fleurs encadrant une Nativité de Jan Peeter Brueghel, arrière petit-fils du fondateur de cette dynastie fameuse.


Reste que les trois peintres qui donnent à cet ouvrage son titre et son éclat n’usurpent pas leur prééminence. Fidèle à sa manière de hiérarchiser et de dynamiser les épisodes historiques, « homme de spectacle », Rubens dans Les Miracles de saint Benoît nous invite à suivre le « processus créateur par-dessus son épaule ». Malgré une élaboration poussée notamment au centre afin de mettre en évidence le cœur de l’histoire, l’œuvre est en effet inachevée. Pour sa part, Jordaens donne avec son pinceau et ses couleurs une leçon magistrale d’habileté et de vérité sociale. Une dizaine de personnages entoure un homme couronné et à la barbe blanchie qui lève son verre. Les uns l’acclament, les autres s’exclament, un courtisan rit, une servante sourit. La fausse cour se divertit tandis que Le roi boit. Il ne faut pas cependant cantonner Jordaens dans la truculence populaire et la joie plantureuse. Humaniste et lettré, il connaissait ses classiques et « sous des dehors rustique », il s’appropria leur philosophie et imagina un vaste et superbe répertoire de figures allégoriques. Van Dyck, né six ans après Jordaens mais mort beaucoup plus jeune, à Londres, en 1641, est quant à lui un portraitiste d’une suprême sobriété, qui n’exclut jamais un regard pénétrant sur ses modèles. Les deux portraits de deux membres de la famille della Faille en portent témoignage. Distinction, assurance, fortune, réserve, intelligence, indépendance d’esprit, les détails soignés mettent en valeur la psychologie de chacun, tout en s’intégrant avec subtilité à l’allure générale des visages, frontaux et imposants.


Entre les trois maîtres et les autres, ce double niveau de rencontres et de dialogues permet de pénétrer dans ce moment de triomphe du baroque flamand appelé Siècle d’Or et d’en apprécier les différents apports. Chaque œuvre, à des titres divers, participe à la découverte du patrimoine présenté dans le cadre du partenariat entre le musée Marmottan Monet et les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Ecrit par un éminent collège de conservateurs, professeurs, historiens, ce livre accompagne l’exposition qui valorise une politique d’échanges entre divers musées. De nombreux faits mettent en valeur les relations privilégiées qui se nouèrent entre Amsterdam et Paris. On note que face à « l’engouement du public français pour la peinture des anciens Pays-Bas », les marchands développèrent de véritables « stratégies promotionnelles » et s’employèrent à éduquer leurs clients. L’un d’eux devint un expert dans ce domaine et utilisa de subtils arguments pour les convaincre d’acheter. Il eut une enseigne célèbre à Paris, rue du Pont Notre Dame. Il s’appelait Edmé-François Gersaint. Il reprit deux outils de marketing alors bien utilisés en Hollande, les ventes aux enchères et le catalogue. Quelle exposition de nos jours se priverait du second support ? Dans celui-ci, d’intéressantes notices ont été rédigées pour chaque tableau, dont il aurait été souhaitable toutefois, de mentionner la date d’exécution.


Dominique Vergnon


Michel Draguet, Sabine van Sprang, Rubens, Van Dyck, Jordaens et les autres, 100 illustrations, 22x28,5 cm, Hazan, septembre 2012, 224 pages, 29 €

1 commentaire

Merci de cette critique intéressante. En complément, pour celles et ceux que cela intéresse et qui sont sur Paris, je conseille la collection permanente du Petit Palais, dont la section sur le XVIIe siècle est très bien.