Jim Morrison et le diable boiteux. Le roman de la rentrée littéraire 2016

J’ai reçu le dernier Embareck avec une certaine fébrilité.

Il faut avouer qu’il m’avait décrit son roman avec gourmandise. En fin d’un déjeuner sous la tonnelle,  il avait refusé un cigare et tendu une nouvelle fois son verre vers la bouteille, un délice de Bourgogne à peine surpris par les épices de mon colombo antillais.

Michel Embareck était inquiet. Il craignait que son manuscrit soit reçu par les critiques comme un documentaire des années soixante.  C'est pourtant un de ces bons films qui vous laisse l’esprit dans le rêve du scénario parfait, malgré la bousculade de la réalité et le retour au boulot. « J’écris des histoires ! », s’exclama-t-il, et de surenchérir sur de nouvelles anecdotes prouvant qu’il connaissait mieux la vie de Jim Morrison et Gene Vincent que le vieux Walker Simmons. Ou alors, me demandai-je, me souvenant d’une photographie de lui au festival de Mont-de-Marsan en 1976, visiblement légèrement retouchée pour laisser un doute s’installer, Michel Embareck est Jim Morrison, lui-même.

Je m’en doutais un peu, et je le lui avais signalé. D'ailleurs, il arriva pour déjeuner à la maison avec son avocat...

J’ai presque tout lu d’Embareck, l’un de ces écrivains originaux, vestige de la grande épopée du polar français des Série Noire de Gallimard, avant qu’elle ne sombre dans le gouffre du sordide du meurtrier social (vous pouvez me lire à ce sujet, ici).

Jim Morrison et le diable boiteux et l’un de ses meilleurs romans, allez, la perle de sa création, pourtant loin de son écriture habituelle et de son fidèle Victor Boudreaux.

Les critiques parisiens diront « c’est un OVNI », provoquant une flopée d’affirmations de sa part sur l’origine terrienne assumée de son écrit.

Il procède par petits chapitres, aux phrases courtes et nettes, avec un humour corrosif et ce talent incomparable de camper les personnages dans leur langue et leur environnement. Il n’y a pas deux Morrison qui parlent de la même façon, cet accent californien lent de la vague hippy, pas de Vincent sans ses douleurs folles, souvenirs de la guerre de Corée. Toutes ses scènes sont des merveilles d’écriture, travaillées et peintes tableau après tableau, pour créer une fresque complète, un travail de pointilliste soucieux de ne rien nous faire perdre du voyage des deux amis, à Woodstock, Toronto et Paris, en croisant Nixon, Lennon ou bien Charles Manson.

Parce que c’est la vérité sur une période qui interpelle le conteur. La clé pour casser la caricature qui nous reste d’une époque dont Jim Morrisson est certainement le symbole. C'est la Californie des beatniks, la folie des années soixante, l’oubli que la génération du refus qu’il nous invite à découvrir est à la charnière d’une histoire de guerres et de révolutions, pas seulement musicale. Il est aussi une légende, cette star-étoile filante qui meure trop tôt.

Le narrateur est un activiste de la radio des années soixante. Il a vécu le rock avant l’abomination Beatles. Il raconte sa propre histoire et on s’immerge en 1968, à côté de Jim Morrison, installé sur le canapé de sa mère qui regarde Elvis Presley à l’émission de NBC[1], avant de dénoncer la traîtrise d’un père vice-amiral et de claquer la porte, sans un au revoir.

Je ne connaissais pas l’amour de Morrison pour Gene Vincent (le Be bop a lula, pour les plus jeunes de mes lecteurs), que l’on suit dans une incroyable virée parisienne où se mêlent tant de protagonistes de l’époque. Vous en ressortez avec l’impression d’avoir participé à la fête, la migraine en moins et quelques regrets pour le reste.

Surtout, écoutez bien Gene, quand, après quelques verres au bar du Cotton Café, il vous raconte la vérité sur la mort de Morrison.

Embareck n’est pas loin, il prend des notes et évite de vous regarder, laissant Simmons vous décrire la rencontre parisienne qui entraîna la disparition du chanteur. Le journaliste enquêteur que fut l’écrivain n’est jamais loin de nous. Il colle aux faits, interroge les témoins, imagine le reste et vous envoie sa vérité qui ne laisse aucun doute : « entre la vérité et le mensonge, existe une zone libre appelée roman » nous avait-il prévenu en deuxième de couverture, citant un détective célèbre.

J’ai pris du plaisir à lire ce roman.

J’ai fait une place à Jim Morrison et le diable boiteux près de mon fauteuil aux cigares, dans le salon, parce qu’il faudra le relire, ce sacré livre, piocher des anecdotes et rire encore de ses facéties.

Il est « le » roman de la rentrée 2016.

Patrick de Friberg

Michel Embareck, Jim Morrison et le diable boiteux, L'Archipel, août 2016,192 pages, 17 €

[1] Enfin, sans vouloir gâcher les quelques détails qu’il nous offre sur Elvis Presley, j’aimerai juste lui rappeler que John Barnett nous a déjà confirmé que le chanteur est vivant, il vit sur une île des Caraïbes avec JFK, goûtant d’une vieillesse au calme, la main encore agile sur son ukulélé, le genou moins souple, mais le regard enamouré de l’amant satisfait.
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