Les (en)jeux imaginaires du Musée Rodin : Entre sculpture et photographie

Sous le commissariat d’Hélène Pinet (Responsable des collections de photographies du musée Rodin) et Michel Frizot (historien de l’art et de la photographie), le musée Rodin fête et le printemps et sa réouverture avec une drôle d’exposition qui mêle les genres, comme il fut fait par le passé avec la mise en miroir du travail de Rodin sur le corps et sa mise en perspective par Mapplethorpe qui m’avait pour le moins… dérangé tant, chose exceptionnelle, le catalogue supplantait très largement l’exposition dont la scénographie était… lamentable !

 

Ici, au contraire, malgré l’exiguïté du lieu, les nombreuses stations présentent au mieux les différents artistes, dans un parcours hétérogène qui associe photographies et sculptures : huit artistes de la fin du XXe siècle qui se sont adonnés, de front, à la pratique de la sculpture et de la photographie sans avantager l’une de l’autre.

Dans les années 1965, quand virent le jour l’art conceptuel et le land art, des jeunes artistes voulurent agir hors les murs de l’atelier, et ont ainsi cassé les canons de la sculpture en pratiquant des interventions in situ dans la nature tout en pratiquant un travail de mémoire en photographiant systématiquement leurs  actions de « sculptures » éphémères ou destinées à demeurer en extérieur. De ce jeu-témoin, au fil du temps, sont apparues d’étroites connexions entre sculpture et photographie, et l’historien a constaté un élargissement considérable des attendus formels et esthétiques de concept de « sculpture » et de « photographie ».

Les huit artistes choisis par les commissaires appartiennent à cette génération de précurseurs qui ont, tout au long de leur carrière, su entretenir cette étroite proximité entre sculpture et photographie jusqu’à les lier corps et âme dans la pratique quotidienne de leur art.

 

L’exposition explore diverses voies de cette drôle d’alliance et donne à voir les résultats de cette conjonction entre sculpture et photographie. Le parcours s’ouvre, avec Richard Long et Gordon Matta-Clark qui conjuguent les deux médiums : des clichés d’assemblages de pierres in situ, entassements de branchages, en lignes, bandes ou cercles, traces d’actions dynamiques, avec de l’eau par exemple ou le tassement de l’herbe laissé par un passage répété ; avec la sculpture Small Alpine Circle, faite de pierres des Alpes, Richard Long recherche la rigueur géométrique, la sensation directe du matériau, l’évocation de lieux naturels quant Matta-Clarck crée une sculpture architecturale par le creux, par l’évidement, sort de négatif du matériau dans une découpe extraite de la cloison d’une maison qui constitue ainsi sa sculpture (positive) : Sauna Cut I  est un prélèvement de sauna dans un appartement de New York, qui a toutes les particularités d’une sculpture, avec ses deux faces différentes et sa trouée transparente.

 

Pour Dieter Appelt et Giuseppe Penone, il s’agit de mettre en avant la place du corps humain, ses correspondances primordiales avec la nature, ou un imaginaire commun du corps primitif. Avec Mac Adams et Markus Raetz, on se situe dans une mise en scène de paradoxes visuels et narratifs, et dans une interrogation suspicieuse sur la « réalité » perçue par le regard. John Chamberlain recherche une continuité formelle, colorée, exubérante, entre les deux pratiques, tandis que Cy Twombly, peu connu pour ses sculptures et ses photographies, ferme le parcours avec d’impressionnantes évocations élaborées avec des moyens très frustes… et des photographies de petits pois (sic).

 

Entre sculpture et photographie vous plonge dans un espace tridimensionnel qui étire ses dispositions dans une trinité scénique : une présentation de sculptures rarement vues, une exposition de photographies loin des standards académiques, le tout porté par une sensation virtuelle qui tisse un fil rouge invisible entre artistes et médiums, à l’image de ce lapin qui n’en est pas un. Le pays des merveilles n’est pas loin…

Une fois encore, l’art nous démontre que le préconçu n’a pas sa place, seule la vision d’un autre possible avec son corollaire d’(en)jeux imaginaires, permet à cet artisan du beau qu’est l’artiste, de nous livrer sa vision d’un monde en perpétuel gestation, mouvant, libre, festif…

 

François Xavier

 

Entre sculpture et photographie, Musée Rodin – 12 avril au 17 juillet 2016

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