Michel Galabru, Les Rôles de ma vie

Navets & César

 

Les « mémoires d’outre-tombe » de Michel Galabru s’intitulent les Rôles de ma vie. Des anecdotes drôles à chaque page sans doute, mais l’ensemble n’est pas exactement d’une folle gaieté.

 

« Les trois quarts du temps, je signais les contrats sans même connaître les sujets des films. En bon exécutant, j’apprenais mes textes parce que j’étais obligé de le faire, mais je ne m’intéressais pas à l’histoire du film en général. »

 

Si l’on cherche une réflexion théorique sur l’art dramatique, il vaudra mieux ressortir de sa bibliothèque le Paradoxe sur le comédien de Diderot. Les mémoires posthumes de Michel Galabru, publiés sous le titre les Rôles de ma vie, se présentent comme une simple suite de vignettes. Il convient de lire ces propos recueillis sur plusieurs mois et mis en forme (et peut-être un brin déformés ?) par le journaliste Alexandre Raveleau comme une promenade thématique et chronologique, mais inachevée — le dernier rendez-vous prévu n’a pas eu lieu —, à travers la carrière d’un comédien qui a littéralement fait tout et n’importe quoi.

 

Mais la désinvolture de Galabru était plus du côté du bon sens que de la déraison. En fait, il nous rappelle ce que notre orgueil de mortels voudrait nous faire oublier, à savoir que l’art n’est pas une science exacte et dépend très souvent de nécessités extérieures. Parfois d’heureuses conjonctions se produisent, mais nul ne saurait les prévoir : « Inutile de s’en cacher, j’ai tourné dans de nombreux mauvais films. J’en ai toujours été conscient. Je faisais mon métier comme tout le monde, pour gagner ma vie. Il existe une règle intangible au cinéma, en tout cas dans mon cinéma : pour avoir un bon film, il faut en faire dix mauvais ! S’il n’y avait que des films réussis, quel serait le mérite ? Sans les mauvais, comment juger les bons ? Les navets ont bien des utilités. »

 

Bien sûr, il existe des films produits et réalisés avec plus ou moins de moyens, de soin ou de compétence, mais il pèse au-dessus de tout un fatum contre lequel nul ne saurait se mesurer. Il faut toute la provocation inconsciente de Godard pour oser demander à des pilotes s’ils ne pourraient pas arrêter les moteurs de l’avion en vol dans lequel il est en train de tourner une scène de Soigne ta droite — le bruit, voyez-vous, nuit à sa créativité ! Galabru raconte comment il est resté une semaine entière sur un tournage alors qu’il était censé ne faire qu’une apparition et boucler l’affaire en deux heures : le vent, le vent, le vent… Il a fallu attendre que le vent se  calme. Plus triste encore, cette ironie du succès qui parfois emprisonne un artiste, ou en tout cas un artisan, au lieu de le libérer : mélancolie d’un Raoul André avouant au comédien devant une table de café que sa femme ne peut plus supporter de le voir tourner des Dernière bourrée à Paris. Lui-même voudrait bien s’essayer à d’autres registres. Mais depuis qu’il a eu le malheur de faire un carton avec Ces messieurs de la famille, les producteurs n’acceptent de le financer que s’il leur sert des comédies franchouillardes de la même farine.

 

Le fait que ces mémoires soient posthumes permet sans doute à la voix de Galabru d’exprimer certaines vérités ou de déboulonner certaines idoles avec une vigueur plus grande qu’elle n’eût pu le faire dans une publication ante mortem. Le vénéré Jean Vilar apparaît ici comme un imbuvable tyran. Le génie de Fernandel n’est pas remis en cause, mais l’on découvre que la vedette ne supportait pas que l’on ne rie point en entendant ses plaisanteries, même quand elles étaient pitoyables. Bourvil était un gentil qui, mine de rien, savait mieux que personne tirer la couverture à lui dans n’importe quelle scène. Mocky n’arrête pas de gueuler quand il tourne, mais plus il gueule, plus les techniciens se marrent. L’éthylisme de Fernand Raynaud était tel qu’il insultait les admirateurs qui venaient lui demander un autographe…

 

De tels souvenirs auraient quelque chose de mesquin si Galabru ne s’incluait lui-même dans la grande vanité des choses et des hommes. Oui, il a joué Molière. Oui, il a tourné avec Costa-Gavras, dans Section spéciale. Oui, il a joué l’Assassin dans le Juge et l’assassin et ce rôle lui a valu un César, et il a juré quand Bertrand Tavernier et Philippe Noiret lui ont dit : « Maintenant, Michel, c’est fini ! Tu ne tournes plus de merdes, jure-le ! » Il a juré, mais immédiatement après, il a tourné le Grand fanfaron sous la direction de Philippe Clair, dont la filmographie, avec le Führer en folie et la Grande maffia, ressemblait déjà à un casier judiciaire.

 

Pourquoi a-t-il violé son serment ? Parce que ce Grand fanfaron allait se tourner en Inde, et parce que sa femme aimait bien les voyages, mais aussi, plus profondément, parce qu’il n’a jamais été sûr que son rôle d’Assassin ou même que son travail au théâtre — mille fois plus important à ses yeux que ses aventures cinématographiques — lui apporteraient une gloire éternelle : « Avec le temps, le nom de Martine Carol s’est presque effacé. Au cinéma, les trois quarts des réputations ne sont que pacotille. Qui se souvient de Jules Berry, de Harry Baur, de Rellys ? Même les plus grands interprètes de notre siècle ont été oubliés. Ne surnagent que quelques noms dans les mémoires, comme Raimu, Jouvet, Gabin ou Fernandel. Mon nom sera certainement, comme celui de Martine Carol et de tant d’autres, balayé par le temps. »

 

FAL

 

Michel Galabru et Alexandre Raveleau, Les Rôles de ma vie

Hors Collection, janvier 2016, 18,90 €               

 

 

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