Soumission de Michel Houellebecq : un scandale d’édition ? Non, juste le scandale de la paresse…

La publication de Soumission a marqué la rentrée littéraire de janvier 2015. D’abord parce qu’il s’agit d’un roman de Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010 pour La Carte et le Territoire ; ensuite parce qu’il mettait en scène la possibilité d’un Président de la République musulman. La Fille aînée de l’Église pouvait-elle devenir terre d’islam, et comment ? Deux raisons d’acheter le livre et de tenter de le lire. Car la lecture nécessite persévérance et curiosité, non que l’ouvrage soit difficile mais si décousu, si mal construit, que le lecteur traversera un désert d’ennuis.

 

L’Histoire : François, le narrateur, spécialiste mondial de l’œuvre de Joris-Karl Huysmans, professeur à la Sorbonne, est un être seul, désabusé et triste. Il y a bien Myriam : « Ma vie aurait été bien plate et bien morne si je n’avais pas, au moins de temps à autre, baisé avec Myriam ». Or, Myriam quitte la France avec ses parents pour s’installer en Israël. Restent des étudiantes pour forniquer ou des escorts entre deux étudiantes, des relations tarifées menées par des professionnelles comme Nadia ou Babeth la salope. Faudrait-il un événement exceptionnel pour réveiller François et donner un sens à sa vie ? Il en aurait envie. L’islamisation de l’Université le marginalise.

 

Trois voyages en province ponctuent le récit. François fuit vers le Sud-Ouest, vers Rocamadour précisément. Il cherche de l’essence (jeu de mots ?), trouve une station déserte et des cadavres. La campagne est déserte. Un deuxième voyage (en train cette fois) l’emporte vers Poitiers à l’occasion du décès de son père avec lequel il ne s’entendait guère. En fin, il séjourne à l’Abbaye de Ligugé, lieu de retraite de Huysmans après sa conversion. Finalement, à Paris, il est rattrapé par Robert Rédiger (jeu de mots ?), le Président de la Sorbonne qui le reçoit chez lui, dans cette maison près des arènes de Lutèce qu’occupait jadis Jean Paulhan, où fut écrit Histoire d’O., le roman de LA SOUMISSION… Rédiger le convertit à l’Islam, religion douce qui prône la polygamie : la solution à l’appétit sexuel de François.

 

On est surpris par le caractère brouillon du roman. Dans le Sud-Ouest, il a vu des cadavres et un désert, sans suite. La mort du père lui donne un héritage, sans suite. Il fuit le monastère parce qu’on ne peut pas y fumer dans les chambres, sans suite donc, sinon de rappeler que Huysmans fumait beaucoup. Le narrateur dit « enquêter », « s’informer », « analyser », verbes qui se substituent à « voir », « entendre », « comprendre ». Pourquoi une telle posture ?

 

Qu’est-ce que Houellebecq a voulut-il écrire ? Sur France Inter, il a déclaré tenter un roman sur la conversion. Toute conversion, même douloureuse, débouche sur la joie, la réconciliation avec soi-même voire avec le monde. On y croirait presque lorsque François est à Rocamadour : « Depuis le début de mon séjour j’avais pris l’habitude de me rendre tous les jours à la chapelle Notre-Dame, et de m’asseoir quelques minutes devant la Vierge noire – celle-là même qui depuis un millier d’années avait inspiré tant de pèlerinages, devant laquelle s’étaient agenouillés tant de saints et de rois (…) Ce n’était pas l’Enfant Jésus qui était représenté : c’était, déjà, le roi du monde. Sa sérénité, l’impression de puissance spirituelle, de force intangible qu’il dégageait étaient presqu’effrayantes. » On y croirait encore à l’Abbaye de Ligugé : « Le sens de ma présence ici avait cessé de m’apparaître clairement ; il m’apparaissait parfois, faiblement, puis disparaissait presque aussitôt : mais il n’avait, à l’évidence, plus grand-chose à voir avec Huysmans. » Écho à la lettre de saint Jean (« ce que nous serons ne nous apparaît pas clairement ») ?

 

Reste la formidable idée d’une France gouvernée par un musulman, Mohammed Ben Abbes, polytechnicien, énarque, qui « avait bénéficié de la méritocratie républicaine ; moins que tout autre, il souhaitait porter atteinte à un système auquel il devait tout, et jusqu’à cet honneur suprême de se présenter au suffrage du peuple français ». François ne s’en étonne guère : « Je compris que j’en étais arrivé exactement là où le candidat musulman voulait me mener : une sorte de doute généralisé, la sensation qu’il n’y avait rien là de quoi s’alarmer, ni de véritablement nouveau. » Il dîne chez une collègue, Marie-Françoise, dont le mari travaille aux renseignements généraux et donne une vision par trop pessimiste de ce qui adviendra. Rien à voir donc avec cette « force visionnaire » ni avec cette « saisissante fable politique et morale » annoncées en quatrième de couverture.

 

Ce livre est le fruit de la paresse : le scénario est nul, la réflexion sur Huysmans n’apporte rien sinon à ceux qui ne l’ont pas lu, la « vision » politique est inexistante… « Les journalistes ont une tendance bien naturelle à ignorer les informations qu’ils ne comprennent pas », écrit François-Michel. Certes, Houellebecq prend la presse pour une conne. Mais il ne saura prendre ses lecteurs à cette mesure.

 

Soumission ressemble au banal manuscrit d’un premier roman impubliable, ou d’un texte d’écrivain usé livré pour honorer un contrat et empocher ses avaloirs. Rien de grave sinon qu’on ne se précipitera pas sur le prochain roman de l’auteur. Flammarion aura, j’espère, le courage de faire retravailler son auteur.

 

Christophe Mory

 

Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, janvier 2015, 320 pages, 21 €


> Lire la critique de Pierre Cormary : Michel Houellebecq, Enquête sur la servitude humaine

5 commentaires

Monsieur Christophe Mory  ferait bien de se relire: bien difficile d'avaler

ses à-valoirs...

Je dirais même plus " ses à-valoir"

Critique ridiculement partisane et totalement indigente

Non non - moins que la vôtre, Célestine Rabourdin ; fatiguez-vous un peu !

charlee222369

Le problème avec des gloires parvenues comme Houellebecq c'est qu'elles ont des sectateurs qui ont apparemment misé tout ou partie de leur substance sur la défense (et non illustration) du maître. Un lecteur exigeant et expérimenté n'a que faire de ces attachements maladifs qui n'ont rien à voir avec la littérature. Il ne souhaite qu'une chose: être honnête et juste (à l'image de Christophe Mory) et ne pas avaler les couleuvres que l'épicerie éditoriale essaie de lui enfoncer dans le gosier. Le fait que Houellebecq soit l'auteur français le plus traduit dans le monde ne signifie pas qu'il est un grand auteur. Ceci prouve au contraire, et ça se démontre, qu'un certain vide et qu'une certaine bêtise se sont mondialisés. La réflexion vaut pour Michel Onfray.