Soumission de Michel Houellebecq lu par Eric Caravaca

François, professeur de Lettres désabusé, vivant quasi en autarcie dans son petit appartement, n'a pour passion que Huysmans. Quelques maîtresses, dont Myryam qu'il pourrait aimer mais qui quitte la France avec sa famille et se réfugie en Israël pour éviter les conséquences dramatiques annoncées par la montée de l'Islam en France. Mais, comme il le dit lui-même, "il n'y a pas d'Israël pour moi", le narrateur doit se confronter au réel sans échappatoire... Quelques prostituées, de rares rencontres, quelques collègues de l'Université, et le monde politique qui défile dans son poste de télévision. Voilà le morne monde de François à la veille du bouleversement politique annoncé par les élections présidentielle de 2024 : l'UMPS qui se ligue derrière le Parti des Musulmans de France pour faire battre Marine Le Pen et faire, du même coup, entrer la France dans une république islamique modérée...

C'est le parcours de la conversion de Huysmans qui va servir de ligne de fuite de la propre conversion du narrateur de Soumission, roman violemment polémique (il nomme les politiques et dresse u portraits à l'acide de nombre d'entre eux, dont François Bayrou par exemple, décrit comme "un vieux politicien béarnais, battu dans pratiquement toutes les élections auxquelles il s'était présenté depuis une trentaine d'années" et choisi comme premier ministre parce que "parfaitement stupide"), prophétique et porté par une langue magnifique dans lequel Michel Houellebecq ("le grand romancier du possible" selon Alain Finkelkraut) évoque la lente chute de la République française, abandonnée par ses élites (politiques qui s'aveuglent pour mieux se soumettre et les journalistes qui regardent à côté l'ensemble des violences pour continuer de dresser le portrait mensonger d'une France de carte postale...). Doucement, par approches culturelles plutôt que religieuses, ses convictions sont peu à peu ébranlées, comme celles de tous les Français, jusqu'à la soumission totale et, pour ainsi dire, venue normalement, sans coup férir, le suicide d'un modèle occidental bi-millénaire.

Le style de Houellebecq est assez particulier, il traite ses personnages et sa trame sans pathos, pose les faits les uns après les autres et semble se retirer, ne pas prendre parti même dans ses charges violentes contre tel ou tel. Il porte la lumière de son temps et l'insuffle dans un récit douloureux à relire aujourd'hui mais tellement brillant et tellement juste. Et entendre ce roman lu par Eric Caravaca, acteur et réalisateur français, c'est jouir de cette sobriété majestueuse et de cette distance qui glace aussi bien qu'elle émerveille.

Loïc Di Stefano

Michel Houellebecq, Soumission, lu par Eric Caravaca, Gallimard, "écoutez lire", octobre 2015, 1 CD, 6h50, 21,90 eur

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l porte la lumière de son temps et l'insuffle dans un récit douloureux à relire aujourd'hui mais tellement brillant et tellement juste.
Laura