22 octobre 2014 : décès de Michel Lafon

Michel Lafon est mort la semaine dernière, le 22 octobre 2014. Il avait accordé au Salon littéraire trois entretiens, sur son roman Une Vie de Pierre Ménard (prolongement d’une des Fictions de Borges), sur la Conjuration de Baal (aventure d’Alix dont il avait écrit le scénario) et sur Quelques jours au Brésil (extrait du journal de Bioy Casares dont il avait assuré la traduction).


Michel Lafon n’était pas vieux, mais il était surtout d’une extraordinaire jeunesse d’esprit. Comme le montre la simple énumération de ces trois titres, il s’intéressait à tout. Là où certains pourraient voir une tendance à la dispersion, il y avait en fait une exceptionnelle rigueur, une honnêteté intellectuelle nonpareille. Michel Lafon, qui enseignait à l’Université de Grenoble, était spécialiste de littérature latino-américaine (il avait depuis son plus jeune âge une passion pour Borges et avait réussi à rencontrer celui-ci alors qu’il était encore étudiant), mais il n’avait que mépris pour ces spécialistes qui restent enfermés dans la bulle de leur spécialité. Tout simplement parce qu’il pensait que la culture n’a pas et ne doit pas avoir de frontières. Il fréquentait assidument les auteurs latins, mais adorait aussi la poésie naïve des aventures de Tif et Tondu et ne dédaignait pas les blockbusters hollywoodiens. Il était très sérieux, mais il aimait rire. Et souvent, comme tous les gens vraiment cultivés, il se plaisait à souligner ses lacunes plutôt que ses connaissances. La littérature anglaise le passionnait — y compris la littérature anglaise policière, et en particulier les romans de Dorothy Sayers — , mais il ne manquait jamais de dire à quel point il regrettait de ne pouvoir la lire qu’en traduction, son anglais n’étant pas à la hauteur de son espagnol.


L’exercice de traduction était au demeurant l’un des outils littéraires qui le fascinaient, puisqu’il contribue à l’effacement des frontières, et la traduction en espagnol, pour l’édition argentine, d’une lettre de Borges qu’il avait imaginée et écrite en français dans sa Vie de Pierre Ménard n’avait pas laissé de l’amuser beaucoup. Il avait commencé à composer un essai sur la question de la traduction en général. La maladie, sauf erreur, ne lui aura pas permis de mener à terme ce projet, mais il laisse derrière lui de nombreux textes qui resteront longtemps comme des références. Le travail dont il était le plus fier (« mon plus beau livre », disait-il) était son édition (incluant une longue introduction) de l’ensemble des Romans d’Adolfo Bioy Casares dans la collection Bouquins, chez Robert Laffont.


FAL

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