Michel Lagarde et le "moi" picaresque

Généralement l'autoportrait sert à s'auto-ornementer. Mais Michel Lagarde a mieux à faire. Il oublie ses tuyaux, ses entrailles, ses dépressions abyssales pour une tournée de cirque à la Simplicius Simplicimus. Toutefois, à l'inverse de cet héros de jadis il ne renonce pas au monde.

Par les photographies une quête d'état-civil a lieu. Mais c'est aussi une manière de s'en moquer. L'héroïsation n'a rien de celle d'un Hemingway. Des scènes d'une grande drôlerie la remplacent par la perfection des mises en scènes que les techniques les plus modernes permettent.

Le corps est saisi par la violence ou (et surtout) le comique. Sa mentalisation ne passe plus par un code abstrait. Et Michel Lagarde invente des tracés où tout est dit. Les mises en scènes évoquent un univers néoréaliste noir des années 50 et des adaptations des grands romans russes avant que la colorisation hollywoodienne ne s'en empare.
La direction des formes et des ligne n'est jamais anodine. Tout est net et précis. Chaque portrait globalise des émotions, les « redresse » où les réduit au peu qu'elles sont sous effet de l'alcool.

Etrangement l'image annonce la fin des littératures. Ou leur commencement. C’est une histoire de caverne. Car Lagarde n'image pas "sur" la littérature mais "dedans". A partir de là toute une déambulation, une errance reprise, métamorphosée ouvrent à l'effroi et au rire.

Plus besoin de répliques. Finies les représentations romantico-sentimentalistes de l’amour. L’oeuvre reste « sauvage », baroque et classique. Le monde est montré sans l’intrusion des larmes et des métaphores. Exit aussi la glose et le mal d’amour.
L'image parle une langue primitive mais nouvelle. Elle ébranle nos systèmes de représentation et ceux de la reproduction. La plastique échappe à la langue maternelle comme à la loi des pères : leurs repères sont à la fois repris et contrariés.
L'autoportrait devient chanson de gestes dégingandés, ubuesques et burlesques. Et le "je" un paradoxal italique. Absurde au demeurant. Et en ligne de fuite, en percée victorieuse entre les rangs du même que l'artiste refuse.

La stagnation est neutralisée par une échappée sans retour d'une démarche bractéenne. Reste cette compétence jubilatoire de l’artiste. Il traque la figure jusqu’aux limites extrêmes du temps. Il épanouit une plénitude par des retours amonts. La surface plane se commue en profondeur au point d’apparaître comme une invention.
D'où ce regard renouvelé en un point où la notion de rapport s’efface vers l’absolu soustrait aux repères convenus de l’espace-temps. Le moi est livré à l’aventure de l’ineffable traversée. Il est projet de conquête, objet de convoitise et farce sublime..

Jean-Paul Gavard-Perret

Michel Lagarde, Dramagraphies - autoportraits photographiques, Carré Amelot, La Rochelle, du 18 setembre au 8 décembres 2018.

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