Michel Onfray et le prétexte Artaud

Rien n'y fait : Artaud demeure esclave de lui-même. Toute sortie de soi semble impossible : Les portes n'existent pas et on ne va jamais que nulle part que là où l'on est, écrit-il dans ses Cahiers du retour à Paris. Pourtant, avant ce constat final, il est un temps où l’auteur tente d’ouvrir une porte et provoquer un déplacement capital selon une perspective que d’ailleurs le psychanalyste anglais Bion avait précisé : Changer de cadre pour changer lêtre.
C’est ce qu’inconsciemment peut-être Artaud a tenté.. Quelques mois après son retour d'Irlande il s'embarque en effet pour le Mexique. Et ce périple représente pour l'auteur l’épreuve initiatique par excellence. Épreuve paradoxale d’ailleurs qu'il "renie" d'une certaine façon puisqu'il refuse de signer Le Voyage au pays des Tarahumaras et qu'il demande à Jean Paulhan de remplacer son nom par trois étoiles mais il n’empêche que cette incartade va permettre de faire éclater le langage final et si incompris - ou incompréhensible ? - de l’auteur .

Quatre-vingts ans plus tard, Michel Onfray découvre à son tour les traces (rares) des Tarahumaras et de leurs rites. Le peuple est désormais acculturé, détruit par la tuberculose et l’électricité, à l'image des peuples premiers. Mais marcher sur les pas d'un écrivain qui demeure irrécupérable par le plus consensuel des auto-philosophe est quelque peu farcesque. Artaud dans les mains d'Onfray n'est qu'un prétexte comme le furent ceux sur lesquels il reprit les pas (Segalen, Gauguin) et comme ceux dont il pense faire son festin par le jeu consommé de la citation décontextualisée.
L'objectif étant de parler de tout c'est à dire de lui-même.

Et si dans ce territoire premier Artaud passa à travers les hommes et l'espace pour parvenir à lui : Ce n'est pas Jésus Christ que je suis allé cherché chez les Taharumaras mais moi-même hors d'un utérus que je n'avais que faire,  écrit-il à Henri Parisot. Si, près de la montagne Tahamura il pense s'approcher au plus près de son pur être débarrassé (enfin) des forces masculines et féminines par ce coït tellurique au sein non d'une mère mais de la MÈRE, Onfray a d'autres chats à fouetter. Comme Jésus, Artaud le gêne.
Mais ne pouvant nier l'existence du second comme il le fait du premier, il bénéficie néanmoins du son côté irrécupérable en tant que caution à une auto-philosophie dont le tout à l'égo fait figure de pensée.


Jean-Paul Gavard-Perret
 

Michel Onfray, La pensée qui prend feu Artaud le Tarahumara, Coll., Gallimard, octobre 2018, 112 p. - 12,00 €

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