Jeanne Baudot, élève de Renoir

Décrivant les tableaux de Renoir avec des mots qui renvoient aux charmes de la nature, aux frissons de l’air, aux pulsions du sang, le célèbre critique d’art Elie Faure saluait cette "transposition lyrique, ingénue, spontanée, dans une forme qui semble naître et renaître d’un foyer sensuel inépuisable, de tout ce qu’il y a dans le monde de rayonnement et d’éclat…"
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) est sans conteste, on l’a souvent dit, plus que tous les autres, l’auteur d’une peinture joyeuse. Son œuvre a une saveur particulière, venue des sujets, des couleurs, des effets de lumière, de son renouvellement constant, de ses faiblesses aussi, car ainsi qu’il le disait, "les théories ne font pas faire de bons tableaux". Une muse a-t-elle été derrière l’artiste ? Michèle Dassas en retient une, Jeanne Baudot, dans un livre à la fois documenté et imaginé. 

Peintre elle-même, amie de Julie Manet, Jeanne Baudot (1877-1957) a été donc très proche de Renoir, tour à tour et en même temps son élève – la seule – son inspiratrice, son amie, son modèle. Pendant plus d’un quart de siècle !
Michèle Dassas invite le lecteur à les suivre dans l’intimité partagée de cette relation privilégiée avec celui qui signa deux inoubliables toiles, Le Déjeuner des canotiers et Le Bal du moulin de La Galette. Elle peint un portrait aussi vivant qu’il est possible de cette jeune fille gâtée, puis de cette femme qui aime les chapeaux mais se défend "de céder à un sentimentalisme ridicule", qui va au Louvre pour travailler devant Les Femmes d’Alger de Delacroix et répond aux curieux qui l’interrogent : "Auguste Renoir est mon maître". Tout est dit !
Sans aucun doute, dans cet ouvrage, à côté de cette personnalité attachante et vive de Jeanne, ce qui intéressera le lecteur est en ombre tutélaire, cette présence du mentor dont la silhouette s’impose par contrecoup, comme si la proximité de Jeanne avec lui nous conduisait à nous rapprocher encore du peintre. Ce sont tous ces détails vécus pour ainsi dire au quotidien qui rendent ce roman agréable à lire, notamment pour ses nombreuses anecdotes qui font tout autant le charme, la légèreté et la gravité de cette femme.

Quand Jeanne peint à côté de Renoir, on entend celui-ci fredonner, ce qui "est un bon signe, c’est que l’œuvre avance au goût" du maître. Elle apprend, elle admire. Ainsi "tout en travaillant à son propre tableau, Jeanne surveille du coin de l’œil l’évolution de celui de son voisin. Du brouillard de tout à l’heure a surgi le corps du modèle. Maintenant, Renoir affine, soulignant tel ou tel point, avec une fougue impressionnante. Revenant sans cesse sur un détail que son œil acéré perçoit et dicte à la main en coups précis, fulgurants, admirables. C’est un duel joyeux qui se livre entre lui et son motif. Renoir le traque, le caresse, le bat, le soumet, le vainc". Après cela, on peut penser que l’artiste va "rouler une cigarette et reposer son esprit et ses yeux".
Jeanne Baudot et Renoir, le respect dans la complicité, le travail dans une proximité à quatre mains. Un exemple : il l’entraîne avec lui pour aller peindre les noyers qui bordent le chemin de La Celle-Saint-Cloud, là même où un autre jour, elle posera en robe rose. Jeanne a beaucoup appris de l’homme qui a contribué à sa notoriété. Elle lui doit sans doute possible son merveilleux double portrait à l’huile, exécuté en 1896. Sous le chapeau à fleurs, s’épanouit un fin et discret sourire. Une image d’elle qui l’immortalise.

En novembre 1930, Jeanne Baudot expose à la galerie Dru, 11 rue Montaigne à Paris. La liste des personnalités présentes au vernissage est significative, elle témoigne de son propre talent.
Parmi elles, Paul Valéry.

 

Dominique Vergnon

Michèle Dassas, A la lumière de Renoir, Ramsay, mars 2020, 308 p.-, 19 euros      

 

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