"Les Sept Églises" de Miloš Urban : thriller néo-gothique où Prague est l'héroïne

Paru à l’origine en 1999, Les Sept Églises est un roman néo-gothique où la Prague de la fin du siècle dernier est agitée par une série de meurtres aussi spectaculaires que grotesques.


Ici, l’urbanisme contemporain, les grands ensembles soviétiques, l’opulence baroque et la verticalité médiévale s’affrontent au mépris des époques, au cœur d’une intrigue noire et déjantée.

 

« J’étais attiré par les ruines des châteaux médiévaux. Là tout était résolu, l’histoire était écrite. Mais pas entièrement, il restait de la place pour l’imagination. »

 

K. est un antihéros sur mesure, inapte à la vie contemporaine, son intérêt précoce pour les pierres médiévales est son unique source de satisfaction. Kafkaïen jusque dans l’initiale qu’il s’impose par honte de son nom, K. devient flic sur un coup de tête avec la ferme intention de se détruire, non sans avoir au préalable planté ses études d’histoire.

 

Viré pour incompétence, K. devient le guide d’un certain Chevalier de Lübeck qui, à la suite d’accords obscurs, est chargé de restaurer les plus vieux édifices de Prague, notamment les églises du Nové Město. Celui-ci est un radical. Selon-lui, l’âge d’or de l’art est la période gothique. L’architecture baroque a nettement défiguré la ville à coups de dômes et de bulbes dissonants et n’a aucun attrait à ses yeux. Quant aux périodes suivantes, il s’agit pour Lübeck d’abominations pures et simples au service d’un fonctionnalisme quasi-satanique. En parallèle, des crimes sont commis dans des lieux hautement symboliques et semblent suivre K. à la trace. Sur fond de guerres de religion, de règlements de compte et de sociétés secrètes, les investigations s’enchainent dans les dédales d’une ville où les époques se jaugent avec arrogance.

 

« Je crois dur comme fer que c’est justement la décoration qui transforme un bâtiment en véritable habitation ; le moindre blaireau aménage son terrier de manière purement utilitaire, car il ne se rend pas compte qu’il n’habite qu’un trou creusé dans le sol. »

 

Si la trame du roman s’articule autour d’une enquête policière classique, le contenu est beaucoup plus labyrinthique. Les frontières entre le rêve et la réalité sont, au fil du récit, de plus en plus floues jusqu’à être totalement abolies, notamment dans la dernière partie. C’est à travers le prisme de K., un être torturé depuis l’enfance, tétanisé devant les femmes, en proie à des malaises et des visions, que nous apprécions les événements et les personnages qui l’entourent. Des personnages résolument typés mais n’ayant pas plus d’épaisseur que les illustrations balisant les chapitres, fonctionnant tour à tour comme des apparitions sur une scène de théâtre.


Le contrat est posé à mi-chemin : l’évocation du Château d’Otrante de Horace Walpole par K. est en quelque sorte une revendication du procédé que l’auteur lui-même utilise dans Les Sept Églises, avec cette conviction que la question doit toujours l’emporter sur la réponse : « Le monde est aussi incompréhensible qu’un roman gothique. » De même que l’absurdité admise chez Kafka est le plus court vecteur pour saisir le réel du monde qui nous entoure, Miloš Urban prend le risque d’aller très loin dans l’étrangeté, tout en s’appuyant sur des références historiques solides et des errances que l’on pourrait suivre sur une carte.

 

« Car il n’est pas important que nous ne comprenions pas ou que nous ne puissions élucider de nombreux événements. Ce qui importe, c’est l’émotion qu’ils éveillent en nous. »

 

Si l’on peut reprocher quelques longueurs et regretter souvent un manque de mesure qui tend à alourdir le propos ou noyer l’impact de certaines scènes, l’exercice est dans l’ensemble assez réussi et l’atmosphère reste captivante.


La part belle faite à la ville, notamment lors de descriptions particulièrement vivantes, est en définitive l’atout majeur de ce roman où Prague s’avère être la véritable héroïne.


Arnault Destal


Miloš Urban, Les Sept Églises, traduit du tchèque par Barbora Faure, Au Diable Vauvert, janvier 2011, 478 pages, 22 euros


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