Écorces (Georges Didi-Huberman), Minuit, 2011


À la fois écrit de circonstance et analyse d’une très grande finesse, Écorces parvient à tresser ce que l’indicible a de plus ordinaire, la Shoah dans sa disparition méthodique, l’artifice de sa mise en scène dans le devoir de mémoire, la distorsion de ses traces, la perplexité de celui qui n’y peut plus revenir, et le regard et la sensibilité archéologiques qui retrouvent dans le partiel de la trace, dans son absence ou dans ses transformations, cela même qui manque et qui a été tronqué mais qui ne cesse pas de se remarquer pour qui sait y voir. Georges Didi-Huberman dérive poétiquement du bouleau dont il a prélevé l’écorce à l’écorce elle-même qui ferme la boucle, pour enclore le récit de son passage à Auschwitz, devenu musée, et à Birkenau, étendue désolée dont le sol, les barbelés, les bouleaux, résonant avec les quatre images extirpées du camp de la mort puis enfouies héroïquement par un membre anonyme du Sonderkommando, ainsi qu’avec leurs écrits sous la cendre, ou une image de la RAF, portent encore la trace de ceux qu’on a voulu annihiler et dont Didi-Huberman parvient à cartographier la rémanence et la résistance, dans la terre, l’image et le langage.

Entre les nouveaux visages d’un antisémitisme qui se développe avec vigueur dans le monde musulman à la faveur du conflit israélo-palestinien, diagnostiqué des années 1980 au début du siècle par Joel Kotek et relayé par certains mouvements altermondialistes complaisants, et la vague d’islamophobie qui gronde de plus en plus clairement dans la foulée des attentats terroristes islamistes et les lamentations continuelles sur la crise des migrants, la voix de Didi-Huberman démêle subtilement l’écheveau d’une horreur passée dont le fantôme n’a guère cessé de hanter l’occident qui prépare ses prochaines fureurs et ses prochains bains de sang. C’est le temps de la vigilance, c’est le temps de la résistance. Qui sait ce qui s’annonce dans les couloirs échevelés et ensanglantés des temps qui courent ?

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