Les enfants de Nithard

Oui, finalement, nous sommes tous les descendants de Nithard, voilà l’homme providentiel : comme toujours tapis dans l’ombre, il prend LA bonne décision, l’applique sans douter, persévère, convainc, et donc l’impose. Loin des fastes de la cour, des cris, des parades et des rodomontades : Charlemagne restera dans les mémoires, mais c’est bien Nithard qui mérite une messe…

Linguiste, Bernard Cerquiglini aurait pu nous tisser un rapport universitaire long, précis et ennuyeux ; mais rien de tout cela ! Le livre s’ouvre sur une péripétie dans les combles d’une abbaye vouée à une seconde vie par la volonté d’une nouvelle directrice. Un coup de pied salutaire dans une caisse pourrie libérera le trésor enfoui. Jeux de pistes, jeux de mots, vous voilà embarqué dans un film carolingien ponctué de faits d’armes, d’honneur et d’humour.
Il en faut à Bernard Cerquiglini pour arriver à nous parler syntaxe sans que le livre ne nous tombe des mains, bien au contraire. Le suspense est digne d’un film policier. On trépigne, on veut connaître la fin de l’histoire…

Cela débute à la mort de Charlemagne, quand il faut bien démanteler l’Empire entre les héritiers ; l’un des petits-fils fait office de scribe, de secrétaire palatial pour être exact, auprès de Charles le Chauve, et scelle avec les Serments de 842, la naissance du proto-français, ce subtil mariage entre le franc, le gothique et le latin… Subtil diplomate, Nithard mesure la valeur des mots comme des actes, et voulant s’éloigner de la dignité imposée par le latin, il écrit cependant dans cette langue considérée alors comme vulgaire afin de lui donner, à elle aussi, son lustre, et lui supprimer la traduction systématique d’alors…
Oui, le francique, la langue maternelle de l’empereur, était donc pour Nithard, digne d'être écrit et même codifié… De nombreux documents furent brûlés par son latinophile de fils, Louis, mais on retrouve un document antérieur aux Serments, le Hildebrandslied écrit en 830 à l’abbaye de Fulda, qui prouve que l'idée vient de plus loin que le coup d'éclat de 834.

Une dualité avec le latin va continuer mais l’impulsion première donnée par Charlemagne, bien au-delà de l’invention de l’école, sera cette idée géniale d’une politique linguistique : si l’Empire hérite d’une culture romanisée qui unifie les peuples, il convient de revenir à la grammaire traditionnelle et à la prononciation correcte – ce que le latin délaissait, laissant un profond écart entre la chose parlée et écrite. Et Charlemagne gagne son pari car les progrès accomplis en une génération sont spectaculaires…
On n’en attend pas moins de nos chères têtes blondes qui doivent recouvrer au plus vite leur langue qu’ils ont perdue au profit des nouvelles technologies et autres SMS destructeurs de la langue française.

François Xavier

Bernard Cerquiglini, L’invention de Nithard, Minuit, coll. Paradoxe, octobre 2018, 120 p. – 15 €
Cet essai est présent dans la deuxième sélection du prix Médicis 2018.

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